Les nouvelles technologies de suivi et d’autosurveillance des maladies chroniques se développent de plus en plus en France, et constituent un enjeu majeur de santé. A travers leurs usages, les relations de soins sont susceptibles de changer, tout comme l’appréhension de la maladie. Une étude récente sur un dispositif de télésuivi à destination des personnes vivant avec un diabète (PaD) montre des résultats intéressants qui prouvent qu’un dispositif médical bien pensé et bien utilisé peut avoir un impact positif sur la relation thérapeutique, en permettant notamment de se recentrer sur l’écoute de la personne vivant avec la maladie.
Les nouvelles technologies prennent une place de plus en plus grande dans le monde de la santé, et particulièrement dans le domaine du diabète. De nouveaux dispositifs sont régulièrement mis à disposition des personnes vivant avec cette maladie, comme les boucles fermées hybrides par exemple, apportant leur lot d’innovations, de promesses et de risques. Une des principales craintes qui a été identifiée dans les études du Diabète LAB consiste en un risque de déshumanisation des soins, où les dispositifs médicaux viendraient remplacer ou compromettre la relation thérapeutique qui peut exister entre un patient et un soignant. C’est ce que montrait notamment une étude menée en 2017 sur un logiciel de télésurveillance médicale nommé « Diabéo », où 12 entretiens semi-directifs ont été réalisés. Ce logiciel permettait ainsi de visualiser les données biomédicales et réaliser un suivi à distance avec des professionnels de santé. Les résultats mettaient en lumière l’appréhension initiale face à ce type de système, dans le fait de craindre qu’il s’agisse d’un dispositif de contrôle. Mais ces craintes ont été rapidement dissipées par les usagers de ce service, qui a servi de support d’interactions avec le soignant, favorisant des échanges constructifs et permettant d’améliorer la compréhension de la maladie. Les échanges qui se réalisent autour des données concernant l’évolution de la glycémie permettent ainsi un renforcement de l’alliance thérapeutique, et une meilleure compréhension à la fois pour le soignant, mais aussi pour le patient de ce qui se joue au niveau biologique, en lien avec un ressenti dans l’expérience de la maladie.
Un algorithme permettant de calculer des doses d’insulines mieux adaptées
Chaque nouvelle technologie doit ainsi être analysée pour comprendre la place qu’elle prend au sein d’un écosystème complexe, et par rapport aux liens qui existent avec le monde médical. La relation qu’une personne atteinte de maladie chronique entretient avec sa propre pathologie doit aussi être prise en compte, dans le fait de savoir comment une technologie vient s’inscrire dans ce contexte. Alexandre Mathieu-Fritz, sociologue à l’Université Gustave Eiffel, et Nolwenn Gérard, infirmière spécialiste clinique, ont publié récemment une enquête sociologique[1] afin d’analyser un dispositif de télésurveillance médicale permettant de réaliser un suivi à distance, et qui a la particularité d’intégrer un algorithme permettant de calculer et de proposer des doses d’insulines mieux adaptées. Ce dispositif fonctionne avec une application sur smartphone et un portail web pour les les professionnels de santé, médecins et infirmiers.
La PaD utilisant ce dispositif rentre quotidiennement ses données sur son taux de glycémie, et reçoit des recommandations pour des doses d’insuline optimales par rapport à son profil. Des messages sont envoyés aux professionnels de santé sur les évolutions de ce taux, permettant un suivi personnalisé. Les soignants reçoivent des alertes si besoin, qui peuvent donner lieu à des réactions rapides, en téléphonant à la PaD. En fonction des alertes reçues via le dispositif, diverses prises de contact peuvent ainsi s’ajouter aux temps d’échange téléphoniques programmés mensuellement en vue de la réalisation de l’accompagnement thérapeutique.
Des interactions avec le personnel soignant transformées
Pour les personnes utilisant ce service, l’activité qui consiste à renseigner ses données sur la glycémie représente une forme d’investissement au départ, qui a un coût en termes de temps et d’attention, mais qui permet finalement de soulager le fardeau de la maladie lié au calcul des doses d’insuline (bolus). En effet, une fois que les pratiques ont été intégrées à une routine quotidienne, les participants à l’étude se sentaient libérés d’une partie du travail associé à la maladie. Ce « travail du patient » réalisé par la PaD peut initialement s’avérer coûteux en temps et en énergie, mais il permet une participation différente dans les soins, favorisant la prise de conscience de ce qui se joue dans son corps. Les interactions avec le personnel soignant sont également transformées avec ce type d’usage, en se concentrant moins sur les calculs nécessaires et davantage sur d’autres aspects de la maladie, notamment à propos de la vie quotidienne avec la pathologie.
Certaines PaD développent des stratégies pour mettre en valeur certaines données au détriment d’autres, en ne présentant que des résultats positifs par exemple et masquant ceux qui sont négatifs. Ces stratégies sont élaborées en fonction des connaissances des participants sur leur pathologie, mais aussi de leurs relations avec les professionnels de santé. Les données sont ainsi parfois « arrangées » et présentées d’une certaine façon pour mettre en valeur des efforts réalisés, pour essayer de mieux comprendre un phénomène, ou tout simplement pour être rassuré. La relation avec le dispositif se construit petit à petit, et la confiance s’instaure à mesure que l’algorithme prouve sa fiabilité. Cette évolution va de pair avec une transformation du rôle du soignant et de la relation thérapeutique, qui va se recentrer sur l’écoute de la personne et sur la réassurance dans l’appréhension de la pathologie.
Evidemment, de nombreux enjeux demeurent, que ce soit du côté des soignants comme des PaD utilisant le dispositif. Certains professionnels peuvent être perturbés par le fait que cette surveillance de la glycémie qui leur incombait se trouve désormais réalisée par une machine, se sentant ainsi dépossédés d’une partie de leurs connaissances et de leur travail. Une adaptation peut alors s’opérer, où de nouvelles pratiques professionnelles se développent en se recentrant davantage sur la dimension psychosociale dans la relation de soins, qui s’oriente vers un accompagnement plus personnalisé. Le travail réalisé par les PaD pour la gestion de leur maladie apparaît également mieux à travers l’usage du dispositif et se trouve davantage valorisé, alors qu’il est bien trop souvent mal connu et invisibilisé dans le monde médical.
Ainsi, à travers un accompagnement à distance par écrans interposés, et par des échanges qui reposent en partie sur une analyse de données, une autre forme de présence et d’accompagnement se dessine. Cette présence est paradoxale, témoignant de la capacité à réagir rapidement mais toujours à distance, et se fondant sur une voix qui devient rassurante, mais à laquelle on ne peut pas toujours associer un visage. Elle ne peut suffire en tant que relation de soins, mais vient en complément d’autres accompagnements qui peuvent se réaliser en consultation auprès des médecins généralistes et spécialistes. Elle constitue ainsi sans doute un exemple très pertinent de ce que peut permettre un usage approprié d’un dispositif médical intégrant des technologies innovantes, qui viennent apporter un réel complément à l’expérience de la maladie, sans se substituer à l’existant.
[1] A. Mathieu-Fritz, N. Gérard, Les reconfigurations du « travail du patient » et de la relation thérapeutique lors de l’intégration d’un dispositif de télésurveillance médicale. Le cas de la diabétologie, Sciences Sociales et Santé, Vol. 41, N°2, 2023.