Pour lutter contre la désertification médicale, de nouvelles formes d’organisation de la santé publique émergent progressivement, dans le sillage de l’appel du Président de la République à une « territorialisation de la santé ». Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), maisons de santé pluri professionnelles (MSP), assistants médicaux : comment ces différentes évolutions aident-elles les populations à retrouver une offre de soins adaptée à leurs besoins ? Comment les différents acteurs en charge de la santé dans les territoires – Conseil régionaux et Agences Régionales de Santé (ARS) – s’en saisissent-ils ? Comment articulent-ils leur action ?

Le Dr Guy Lefrand, vice-président de la Région Normandie et maire d’Évreux, et Cédric Arcos, directeur général adjoint de la Région Ile-de-France, chargé des solidarités et de la santé, ont accepté de partager leur expérience avec nos lecteurs.

La santé dans les territoires peu denses n’a jamais été aussi présente que depuis deux ans dans les discours publics. Face à la réalité de la désertification médicale, les nouvelles structures pluridisciplinaires tentent de colmater les brèches. Au plus près des populations, les professionnels de santé et les personnels qui les entourent donnent le maximum pour qu’aucun public ne soit laissé sur bord du chemin. Pourtant, les observateurs avisés sur le terrain s’inquiètent. « Tout le monde fait bien son travail, mais c’est encore de l’artisanat, affirme ainsi Guy Lefrand en s’appuyant sur son expérience en Région Normandie. Nous aurions besoin de faire plus, mais l’État ne nous accompagne pas suffisamment… »

Créer un environnement favorable pour les professionnels de santé

S’ils s’attardent sur la question du désengagement de l’État, c’est essentiellement pour fustiger sa trop grande prudence dans un dossier particulièrement sensible, dont les conséquences se font sentir de plus en plus fortement : celui du statut des médecins libéraux dans les territoires ruraux.

Mais les acteurs territoriaux ne s’affranchissent pas de leurs propres responsabilités, et mettent d’abord le doigt sur un aspect crucial de la lutte contre les déserts médicaux : l’attractivité des territoires pour les professionnels de santé. « Comment fait-on venir – ou rester – des médecins dans les territoires sous-denses ? En créant un environnement favorable, où le professionnel de santé est entouré de collègues, et où son conjoint peut trouver facilement un travail », note ainsi Guy Lefrand.

Le constat est le même en Ile-de-France, même si, concède Cédric Arcos, « les causes de la désertification médicale n’y sont pas les mêmes que dans un département rural ». Ici, c’est notamment le prix du mètre carré qui rend désormais l’achat d’un cabinet particulièrement difficile. Face à ce frein majeur, une politique d’aide à l’installation a été mise en place par la Région, qui participe à l’investissement pour faire baisser indirectement le poids du foncier. « L’efficacité en est d’autant plus grande que nous marchons main dans la main avec l’ARS, avec qui nous croisons nos aides : pour un médecin qui s’installe, c’est désormais 250 k€ de la région et la même chose de l’Agence ! » s’enthousiasme Cédric Arcos.

Penser un exercice moderne de la médecine, collectif et pluridisciplinaire

Les jeunes médecins qui bénéficient de cette aide doivent en contrepartie repenser leur façon de travailler : « Il doivent avoir un exercice moderne de la médecine » – comprendre : travailler en groupe ; pratiquer la modération tarifaire – secteur 1 ou Optam (Option Pratique Tarifaire Maîtrisée, un outil de l’Assurance Maladie destiné à limiter les dépassements d’honoraires° ; et privilégier un exercice pluri-professionnel (avec un pharmacien, une infirmière à domicile, un podologue…).

Cette approche renouvelée de la santé ne peut d’ailleurs pas rester concentrée sur les seuls médecins. D’autres aides touchent d’autres professionnels de santé : bourses versées pendant leurs études (jusqu’à 800 € par mois) aux kinés et aux sages-femmes, notamment, en échange de leur installation dans la région.

Mais c’est aussi en améliorant les conditions de vie quotidienne que les acteurs régionaux savent pouvoir faire venir – ou retenir – les praticiens dans les territoires en déshérence. « En favorisant la construction de 11 000 logements dédiés aux paramédicaux et aux jeunes médecins qui s’installent, nous sommes en train de casser la fracture Est-Ouest, qui peut conduire un professionnel de santé à faire jusqu’à 2h30 de transport par jour pour rejoindre son lieu d’exercice à côté duquel il ne pouvait pas habiter », explique ainsi Cédric Arcos.

Ces causes multiples exigent des réponses diversifiées. Que ce soit pour les institutions de santé ou pour les politiques, la mise en place d’une stratégie de lutte impose la mise en place d’une double stratégie, à la fois nationale et régionale. « Il est d’abord nécessaire de rendre plus attractif l’exercice libéral et d’assouplir le numerus clausus, afin d’augmenter le nombre de professionnels de santé qui irriguent les territoires, précise ainsi Cédric Arcos au Conseil régional d’Ile-de-France. Il faut ensuite agir à l’échelon territorial avec une volonté politique forte : pour un président de Région, il est bien sûr inacceptable d’avoir des administrés ne disposant pas d’un accès suffisant aux soins, mais il est surtout indispensable de mettre en place un système de santé qui fonctionne : c’est une condition essentielle du développement économique et de l’attractivité territoriale ! »

Les établissements pluri professionnels au service des territoires

Dans ce contexte, les nouvelles structures de soins (voir encadré) constituent une réponse particulièrement adaptée à la situation. Qu’il s’agisse des Maisons de santé pluri professionnelles (MSP) ou des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), le cadre technique et juridique est posé pour rassembler sur de nombreux points du territoire une offre de santé multiple et diversifiée.

Mais encore faut-il que les professionnels de santé présents sur le territoire participent au projet d’établissement… « Ce n’est pas parce qu’on crée la maison de santé qu’on y arrive automatiquement, il faut des médecins qui s’investissent, et on doit accompagner ceux qui sont déjà présents sur le terrain pour qu’ils y restent – plutôt que d’attendre qu’il y en ait de nouveau qui arrivent… » s’inquiète Guy Lefrand. La clé du succès selon lui ? Au-delà de l’amélioration de la qualité de vie personnelle déjà évoquée, elle passe par une meilleure qualité de vie au travail pour les professionnels de santé, à travers un projet de santé global qui puisse être évalué. Ce qui implique de faire fonctionner ensemble tous les échelons du dispositif de santé en régions : le Conseil régional, le représentant de l’État déconcentré (l’Agence régionale de santé (ARS)), et enfin l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sur lequel s’implante une structure de soins.

Un partenariat que Guy Lefrand caractérise ainsi : « La Région doit jouer un rôle de régulateur pendant que l’EPCI accompagne le montage en termes d’ingénierie et de financement, et que l’ARS vient in fine en facilitateur, notamment sur la mise en place de statuts partagés pour les professionnels qui le souhaitent – en partie salarié, en partie libéral, en partie hospitalier. »

Cette répartition des tâches est désormais possible dans la mesure où, dans la plupart des régions, l’opposition entre acteurs n’est plus de mise : « la volonté hégémonique de certains appartient au passé. »

La télémédecine, un outil complémentaire pour les territoires sous-denses

Dans cette démarche, le volet prévention acquiert du coup un rôle majeur : la territorialisation de la prévention fait partie des compétences octroyées par la loi Touraine aux institutions locales. Elle permet de financer des études et des postes de responsables territoriaux de prévention santé (RTPS), améliorant ainsi la connaissance diagnostique des populations. Les Régions peuvent alors rechercher des financements pour le dépistage de certaines pathologies dans des populations ciblées – les lycéens, les personnes défavorisées, les femmes…

D’autres outils viennent aussi s’ajouter à la panoplie pour rapprocher les soins des populations, comme en témoignait déjà un précédent article de notre site. « La télémédecine, par exemple, est une chance pour les territoires sous-denses, abonde ainsi Guy Lefrand. Mais attention, c’est un outil complémentaire qui ne fonctionnera pas seul. La charte que nous avons signée précise que nous ne financerons que des projets élaborés avec des partenaires sérieux et des professionnels de santé impliqués » – comme c’est le cas par exemple pour la téléradiologie mise en place entre les communes d’Evreux et de Verneuil en Normandie, appuyée par l’ARS. Et s’agissant d’argent public, les engagements de dépenses doivent être particulièrement encadrés, et faire l’objet d’engagements d’éthique et de déontologie forts…

La question du statut des médecins au cœur du débat… et de l’action !

Mais les acteurs régionaux savent bien qu’au-delà des actions qu’ils conduisent contre la désertification médicale, poindra rapidement la question centrale des formes d’exercice des soignants. C’est à un véritable changement de paradigme qu’il faut parvenir, touchant jusqu’à la façon dont on délivre les soins : déléguer des tâches médicales à des infirmières praticiennes autonomes qui peuvent apporter une réponse médicale et prescrire, voir pour certaines aux pharmaciens – « nous mettons en place dans ce sens une expérimentation d’installation de solution de télémédecine dans les officines, à Trappes », explique à cet égard Cédric Arcos.

« Lorsque le patient ne peut aller jusqu’au médecin de son territoire, c’est ce dernier qui doit venir à lui ! poursuit-il. Les technologies numériques offrent de nouvelles formes d’accès à l’offre de soins, permettant notamment que les patients qui n’y ont pas accès directement puisse quand même trouver un médecin du territoire, même si c’est online. »

Éminemment politique, cette question n’est évidemment pas du ressort des territoires. Qui s’empressent de renvoyer l’Etat à ses responsabilités : « tant que les médecins ne pourront pas marier plusieurs statuts à l’intérieur d’un même exercice, ils ne pourront pas s’installer durablement dans nos territoires », conclut ainsi Guy Lefrand. Avec la certitude que c’est en pensant conjointement les conditions de vie et d’exercice des soignants et la qualité des soins des patients que les services de santé, dans les territoires, seront à la hauteur des attentes légitimes des citoyens – notamment une offre de soins adaptée aux besoins de chaque patient.

Les nouvelles structures territoriales de santé

Les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) (autrefois « Maisons de santé pluridisciplinaires ») sont des établissements de soins de premier recours associant autour d’un projet de santé commun des médecins, des auxiliaires médicaux et le cas échéant des pharmaciens et des biologistes. Les MSP, installées dans un espace physique identifié, ont pour vocation de proposer une offre de soins complète et qualitative au plus près des populations, et de remplir une importante mission de prévention et d’éducation à la santé. Contrairement aux Centres de santé, ce sont les professionnels de santé eux-mêmes qui gèrent la MSP et la patientèle commune.

Les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont des structures médicales regroupant des professionnels de santé d’un même territoire, qui peuvent exercer en MSP, en cabinet de groupe, en indépendant ou en secteur hospitalier. Les CPTS ne sont pas liés à un lieu d’exercice physique. Ils fonctionnent par contrats d’objectifs, souvent soutenus par l’ARS du secteur. Ils ont pour priorité la coordination des actions de soin, mais aussi la fluidification et la densification du lien entre professionnels.