L’usage de nombreux dispositifs médicaux est devenu récurrent dans la prise en charge du diabète. De nombreux patients en utilisent, que ce soit des pompes à insuline ou des capteurs de glucose en continu (CGC). Récemment, le Diabète LAB a mené une enquête en lien avec l’entreprise Medtronic© sur un nouveau capteur, dont nous vous présenterons les résultats lorsque sa mise sur le marché sera proche. Mais avant de vous parler de ce CGC qui ne doit sortir que l’année prochaine, les résultats de l’étude ont mis en avant un phénomène intéressant : la construction d’une véritable relation entre un dispositif médical et une personne atteinte de diabète. Dans cet article, nous vous proposons quelques éléments de réflexion à ce sujet, pour mieux comprendre les facteurs qui déterminent cette relation.

La relation au capteur et le rôle des professionnels

Notre étude a été menée auprès de 16 personnes atteintes de diabète, dont 8 adultes et 8 enfants âgés de 9 à 16 ans, qui bénéficiaient de systèmes de boucles fermées hybrides. Ces personnes ont été sélectionnées par 4 centres hospitaliers en France, afin de tester un nouveau capteur pendant 1 mois. Des entretiens semi-directifs ont été menés avec les 8 adultes et avec les parents des enfants, dans le but de les interroger sur leur vécu avec ce nouveau capteur qui est plus discret, plus facile à poser, et qui dispose d’une meilleure tenue que sa version précédente. Nous leur avons posé des questions sur leur parcours de soin, leurs relations aux professionnels de santé, et leur vécu avec la maladie, et les réponses nous ont permis de mieux comprendre leur façon d’appréhender les CGC.

Tout d’abord, la relation au capteur dépend de la relation qui est entretenue avec les professionnels de santé qui accompagnent la personne atteinte de diabète. Ce sont bien souvent eux qui parlent, qui renseignent, et qui essayent de convaincre des bénéfices des innovations médicales, lorsqu’ils sont eux-mêmes convaincus (ce qui n’est pas toujours une évidence). Le discours et les mots utilisés par le personnel médical ont généralement une grande importance pour les patients, et vont contribuer à construire les représentations autour des CGC et des pompes à insuline. C’est le cas par exemple de Valérie, qui est passée d’une mauvaise expérience avec des médecins spécialistes, à un suivi de qualité en CHU qui lui a permis d’accéder à des innovations :

« Je n’étais pas du tout satisfaite des premiers endocrinos, mais vraiment pas,  des gens qui disaient : « Ah vous n’avez qu’à faire ci, vous n’avez qu’à faire ça », enfin bon. Bref, voilà, mais qui étaient complètement inadaptés, enfin des discours complètement inadaptés, aucune compréhension. Voilà donc, sauf le docteur XY qui enfin, en gros, le suivi du CHU est parfait (…) non mais là enfin justement, le fait d’être en boucle fermée et tout ça, c’est grâce à elle hein, tout ça. Enfin bon. Bref, et puis du reste de l’équipe aussi, le personnel médical d’une manière générale, les infirmières, tout ça, elles sont, voilà, c’est juste parfait. » – Valérie 51 ans, 40 ans de vie avec la maladie

Valérie associe ainsi le fait de bénéficier d’une boucle fermée hybride à sa relation au médecin qui la suit au CHU où elle est accompagnée. Elle affirme être passée de premiers endocrinologues dont le discours et l’approche n’étaient pas adaptés, à un bien meilleur suivi dans un centre qui lui a permis d’accéder à des innovations technologiques. Son regard sur les dispositifs qui lui sont proposés est ainsi susceptible d’être biaisé, notamment par le sentiment de reconnaissance qu’elle peut ressentir vis-à-vis des professionnels dont elle reconnaît la valeur et l’engagement. Pour d’autres personnes rencontrées, la façon d’appréhender l’innovation dépend de la relation à l’infirmière du Prestataire de Santé à Domicile, qui aide justement à utiliser les dispositifs médicaux, et qui renseigne les patients sur les innovations à venir, comme l’a expliqué Gérard :

« Et puis avec toujours une info de mon infirmière qui me donnait toujours des éléments un peu par anticipation sur ce qui allait sortir et ce qui allait être mis sur le marché. Donc j’y suis allé complètement naturellement (…) Oui. Ah j’ai une infirmière, elle est en or donc ouais. Ah bah ouais non top là pour le coup, ils sont efficaces, attentionnés. » – Gérard 58 ans, 18 ans de vie avec la maladie

Là aussi, Gérard exprime une forme de reconnaissance qui est liée à l’accès qu’il peut avoir aux nouvelles technologies, que ce soit en termes d’information sur l’innovation à venir, ou de disponibilité du matériel. Cela entraîne une forme de continuité entre les différents modèles qui se suivent, qui peut être comparée à l’approche et à l’attente d’autres appareils technologiques non médicaux qui sortent régulièrement sur le marché. C’est tout le rapport à l’innovation qui est ici en question, avec des personnes qui sont désormais habituées à avoir accès à de nouveaux produits qui améliorent petit à petit leur qualité de vie, et qui suscitent attente et espoir.

Le CGC dont il était question pour cette étude était ainsi perçu par plusieurs participants à notre enquête comme étant « la suite logique » de ce qu’ils avaient connu. Certaines personnes qui ont une longue expérience de vie avec la maladie ont connu de multiples étapes, et reconnaissent pleinement l’apport de ces nouvelles technologies sur leur quotidien et leur gestion de la maladie, comme François qui a plus de 30 ans de vie avec le diabète :

« J’ai commencé avec des stylos insulines et des injections partout, 4 ou 5 injections par jour, jusqu’à maintenant où j’ai voilà la pompe et le capteur comme vous le savez quoi. Donc il y a une progression on va dire, une progression. Ouais dans le confort c’est énorme, donc ça c’est très intéressant. (…) j’ai refusé pendant une dizaine d’années d’avoir une pompe. Et puis quand j’y suis passé, ben là maintenant pour rien au monde, je l’enlèverai. Et puis après on a connu l’évolution avec les capteurs sur le bras, les capteurs freestyle hein, qui a été une révolution pour nous hein. C’était vraiment quelque chose d’énorme le freestyle, alors après quand on a en plus maintenant la boucle fermée. Bon Ben voilà là ça c’est vraiment des belles évolutions. » – François 50 ans, 30 ans de vie avec la maladie

François parle ainsi d’évolution et même de révolution pour certains dispositifs dont il bénéficie, qui lui ont amené un confort de vie important, surtout en comparaison de ce qu’il a connu à l’époque. Le fait d’avoir expérimenté pendant de nombreuses années dans son corps et sa chair les injections, ou bien les tests pour le taux de sucre dans le sang par glycémie capillaire ou par bandelette urinaire, change complètement son regard sur les CGC actuellement disponibles.

Lors de notre étude, nous n’avons rencontré que des personnes adultes ayant une longue expérience de vie avec la maladie, qui ont connu des expériences variées avec les dispositifs médicaux. Il a fallu par exemple à François une dizaine d’années avant d’accepter la pompe et de construire sa relation au dispositif, qu’il décrit aujourd’hui dans des termes élogieux. Mais ces 10 ans étaient peut-être nécessaires pour lui, pour accepter son statut, sa maladie, un changement de traitement après avoir bataillé pour s’y conformer, une forme de dépendance à la technologie, etc.

Ainsi la question demeure de mieux connaître l’appréhension et la relation qui se construisent pour une personne nouvellement diagnostiquée, qui n’a pas connu cette histoire, ni avec la maladie, ni avec les dispositifs médicaux, et qui doit soudain gérer de multiples aspects liés à son corps, à sa vulnérabilité, à son image, etc. Dans ce contexte, la construction d’une relation au capteur ne sera pas la même, et pourra dépendre d’autres facteurs comme la volonté de garder le contrôle face à une problématique nouvelle, le fait d’accepter ou non de rendre sa maladie visible par un appareil sur le bras, ou d’autres aspects qui dépendent de chaque personne et de son histoire.

Le lien à la famille et à la trajectoire de maladie

Au-delà de ces aspects, d’autres facteurs peuvent influencer la relation au capteur, comme notamment le lien avec les proches. Dans le cas des enfants atteints de diabète, c’est la relation aux parents qui pourra grandement déterminer la façon d’appréhender les CGC. À cet égard, de nombreuses ambiguïtés apparaissent, qui témoignent de la complexité des relations familiales et du rapport à la maladie. Par exemple, le témoignage de Valentine nous offre un aperçu intéressant des conséquences du diabète de son fils :

« Ça m’a beaucoup rapproché en fait de lui puisqu’on a des voilà, j’allais dire des points de contact physiques qu’on avait peut être moins avant. Enfin quand il faut lui poser son capteur, quand il faut lui changer son cathéter. Voilà, ça m’a rapprochée de lui aussi parce que j’ai un niveau de surveillance de son état de santé qui est plus marqué qu’avant. Donc je suis quand même très présente dans sa vie et en même temps voilà j’ai pas d’angoisse particulière par rapport à la maladie, par rapport à la suite parce que je sais qu’il est très bien pris en charge. » Valentine, 45 ans, maman de Martin, 14 ans, 4 années de vie avec la maladie

Le diabète de son fils a amené cette maman à un rapprochement, à la fois en termes de suivi et de surveillance puisqu’elle est amenée à gérer une partie du traitement, mais aussi physiquement par les soins apportés, comme les changements de capteurs justement. Elle affirme par ailleurs ne pas ressentir d’angoisse particulière liée à la maladie de son enfant, grâce à l’accompagnement médical dont il bénéficie, et à l’aide apportée par les dispositifs médicaux qui lui permettent ce suivi approfondi. Ce discours positif peut en masquer d’autres, qui là aussi mettent en lumière la complexité de la relation à la maladie et au capteur, avec ce risque d’une « pathologie du contrôle » selon les termes d’un papa interrogé :

« J’avais clairement identifié dès le début qu’il y avait une forme de pathologie du contrôle en fait qui était liée au diabète, au-delà de la pathologie physiopathologie en fait, il y a vraiment ce côté obsessionnel qui peut arriver parce que ça accompagne aussi le niveau de stress des familles qui se retrouvent des fois dans des difficultés de gestion. Et donc plus on a des difficultés à gérer, plus cette difficulté de gestion est marquée parce que les données qui l’objectivent et donc ça créer aussi du stress autour de ça quoi. (…) parfois de recherche de la perfection avec le temps passé dans la cible. Parce que le TIR (Time In Range) voilà c’est maintenant la norme pour évaluer si le diabète est bien géré ou pas. Donc ça induit quand même tout un tas de comportements et parfois, bah, de gestion de conflit au sein des familles. Certainement qu’on a essayé nous de notre côté d’éviter au maximum, mais on sait que c’est une dérive possible de ce type d’outil. » – Fabrice, 47 ans, papa de Maxence, 16 ans, 11 années de vie avec la maladie

Selon Fabrice, le diabète n’induit pas seulement des problématiques au niveau physiopathologique, mais également en lien avec cette recherche de perfection et de contrôle sur soi et sur son corps, rendu possible et favorisé par des dispositifs comme les CGC. Dans le cas d’une famille qui connaît de multiples difficultés, dont de gestion de la maladie, le capteur va mettre un chiffre sur ces problématiques, qui risquent ainsi d’être exacerbées et de générer de nouvelles tensions.

Entre hypo et hyper, le lien à l’histoire de la maladie

Un autre élément déterminant dans la relation au CGC est la trajectoire de maladie, c’est-à-dire l’ensemble des événements qui sont porteurs de sens pour la personne dans son histoire avec le diabète. Des moments marquants peuvent alors avoir un impact sur la façon de concevoir la maladie, et modifier les attentes vis-à-vis des CGC. C’est le cas de certaines personnes ayant vécu des épisodes d’hypoglycémies, soit en étant témoin d’une scène, soit en l’ayant vécu soi-même. Une angoisse importante peut naître de ces épisodes qui sont parfois impressionnants, pouvant modifier le rapport à la maladie, et à la volonté de contrôler au maximum son taux de glycémie. Les CGC deviennent alors un outil indispensable pour anticiper ce type d’épisode, mais au risque de cette « pathologie du contrôle » qui peut devenir une forme d’obsession.

« Elle avait vu une série sur Netflix où il y avait une gamine qui était diabétique de type 1, qui avait une pompe et je sais pas pourquoi elle avait fait un malaise. Enfin on a donné le nom de la série au docteur pour qu’il puisse aller voir et du coup c’était une maladie qui l’a traumatisée. Truc de dingue et donc quand on lui a annoncé. Ça a été un cataclysme, et puis finalement, on a été très très bien pris en main à *nom de l’hôpital*. Et puis on s’habitue. » – Fabienne, 52 ans, maman de Léa, 12 ans, 10 années de vie avec la maladie

Fabienne raconte ainsi comment le diagnostic a été vécu très douloureusement par sa fille, en raison de cet épisode d’hypoglycémie vu dans une série. Heureusement pour elle, un accompagnement de qualité lui a permis d’apprendre à gérer sa maladie, et de faire rentrer le diabète dans ses habitudes et dans celles de sa mère. Le moment du diagnostic s’avère être une étape charnière, et c’est également ce qu’a raconté un autre participant à l’enquête, qui affirme pour sa part être dans la crainte des hyperglycémies.

« C’était pas possible de me trouver handicapé par un membre amputé ou autre. Ouais c’est pas possible. Donc pour que ça soit, enfin pour éviter ça, j’avais plutôt une grosse tendance à être avec une glycémie assez basse et donc pas mal d’hypoglycémies, ce qui contrariait bien sûr les diabétologues, ils disaient que je faisais trop d’hypoglycémies. Ouais ils avaient raison hein. Je le discute pas. Mais ne discutez pas non plus le fait que l’hyperglycémie n’est pas bonne si elle est prolongée quoi. » – Marcel 69 ans, 29 ans de vie avec la maladie

Marcel a vécu au moment de son diagnostic une crainte très forte de se trouver amputé à cause d’un taux de sucre trop élevé, et a cherché depuis à maintenir ce taux le plus bas possible. Ce sont des messages de prévention qu’il a perçus comme trop violents qui ont fait naître en lui ces angoisses. Il se sert ainsi des CGC pour éviter les hyperglycémies, mais au risque de se retrouver avec un taux trop bas. Cette volonté qui est en lien avec son histoire l’amène à être en désaccord avec ses médecins, qui de leur point de vue cherchent toujours à ce que les patients soient « dans les courbes » et les « bonnes » moyennes, ce qui n’est pas toujours possible.

Conclusion, à chacun son usage des capteurs

L’usage des CGC dépend de chaque personne, de son histoire, de ses relations à ses proches et aux professionnels de santé, de ses attentes vis-à-vis des dispositifs médicaux, et de ses propres normes de santé. Les personnes atteintes de diabète contournent parfois les normes médicales, parfois pour se protéger et mettre à distance la maladie, ou bien pour mieux s’approprier leur diabète et leur corps, qui leur appartiennent en premier chef. Mieux connaître ces usages, c’est aussi mieux comprendre le vécu de ces personnes, et mieux les accompagner en informant sur les risques, en diffusant les astuces pour un usage plus personnalisé, et en déculpabilisant sur les pratiques qui sortent parfois quelque peu des sentiers battus.

Une relation « humain » – « non humain » se construit progressivement entre une personne atteinte de diabète et un dispositif médical. La confiance est indispensable dans cette relation, car il est nécessaire de pouvoir se fier aux chiffres qui sont divulgués par l’appareil pour bien prendre soin de soi ou de ses proches. Une multitude d’autres facteurs ont leur importance : la taille, l’aspect, la tenue, ou encore l’interface, d’où l’importance d’étudier tous ces détails et de s’intéresser au vécu et quotidien des personnes atteintes de diabète. Alors rendez-vous au prochain épisode pour découvrir la suite de cette étude sur ce nouveau capteur !