Dans ce deuxième épisode de notre mini-série sur le génome, le diabétologue et généticien Philippe Froguel et le pharmacologue hospitalier François Gueyffier dialoguent autour des grands enjeux qui entourent la génomique du diabète : questions éthiques, clarté de l’information aux patients, écoute médicale… Et s’accordent sur l’idée d’une médecine de plus en plus préventive.

Pour certains patients, la « médecine à la carte » évoquée par nos experts est synonyme de soulagement face à des traitements aujourd’hui trop lourds pour la forme de diabète qu’ils déclarent. Selon le Pr Froguel, certains par exemple possèdent une anomalie génétique qui rend leur diabète sensible aux sulfamides. « On les traite par médicaments, et ils n’ont plus besoin d’insuline ! » se réjouit le chercheur.

Des parcours de soins personnalisés

Autres personnes diabétiques concernées selon lui, les type 2 avec obésité : « Même lorsqu’on arrive à améliorer leur glycémie, ils finissent par mourir de problèmes cardiaques ! Les études génétiques permettraient à la fois de leur donner un traitement intensifié sans risque de provoquer une mort subite, d’éviter certains traitements trop lourds, et de ne pas les traiter trop tard… »

Pour parvenir à mettre en place ces parcours de soin personnalisés, une condition est toutefois requise : « Il faut demander aux personnes diabétiques ce qu’elles veulent, avant de leur imposer des choses, insiste le diabétologue. Nous manquons d’études sociologiques sur l’acceptabilité de la génomique… mais on sait déjà des choses : les personnes diabétiques, par exemple, ne veulent pas que leurs enfants souffrent comme eux ! » Et pourtant, même s’ils ont tous compris que la lutte contre le diabète serait « une guerre longue », ils n’ont pas intégré selon lui « ce que signifie être porteur d’une anomalie génétique ».

Former les médecins à mieux informer

La solution ? L’information, accompagnée d’une facilitation de l’accès aux diagnostics génétiques. « Il faudrait, s’il le souhaite, que le patient puisse faire le test (l’analyse de son génome) et montrer le résultat à son médecin, et que ce soit pris en charge. Mais les plus résistants ne sont pas les patients : ce sont les médecins, les diabétologues pessimistes du ‘rien ne marche’ et du ‘je n’ai pas besoin de vous pour savoir ce qu’il faut faire’… »

Sur ce point, le Pr Geyffier le rejoint largement, et va même plus loin : « Il y aura une vraie difficulté pour les personnes concernées à comprendre cette information génétique. Or les médecins ne sont pas suffisamment formés à l’expliquer : la création d’angoisses, voire d’erreurs d’attitude de la part du patient, constituent de vrais risques… On va leur donner des informations qui reposent sur des probabilités, c’est très difficile à interpréter, les médecins ne sont pas outillés pour accompagner cela ! »

L’analyse est en revanche beaucoup plus contrastée quand il s’agit d’évoquer les à-côtés de cette médecine de demain. L’eugénisme ? « Des foutaises ! On n’observe aucune dérive dans les pays où le test est libre », selon Philippe Froguel. Un avis que ne partage pas le pharmacologue, qui estime « nombreuses les dérives ‘libérales’ possibles : il y a un risque d’eugénisme évident, très difficile à maîtriser, et de nombreuses dérives tentantes pour les assureurs… Il est indispensable de fournir un cadre suffisamment sécurisant de ce point de vue ! »

Un enjeu majeur : la prévention à long terme

« Mais tout ne reposera pas sur un test génétique, car il faut tenir compte de la vie réelle, tempère le diabétologue. La médecine ambulatoire doit se faire avec des gens qui sont chez eux. Et le vrai problème, c’est qu’aujourd’hui les médecins ne veulent plus se déplacer : on pratique donc une médecine qui ne voit pas ce que les gens vivent réellement… »

Face à cette réalité, François Gueyffier voit s’avancer d’un bon œil « un nouvel acteur appelé à prendre une importance croissante dans la vie des patients : le conseiller génétique[1] ». Mais il met en garde contre l’excès d’optimisme et les avancées irréfléchies : « Je considère cette information (les éléments de connaissance issues du séquençage du génome) comme quelque chose de très riche et de très utile, mais aussi de très sensible. Il faut beaucoup évaluer et expérimenter avant de pouvoir l’utiliser de façon pertinente. D’autant plus que la question des bénéfices réels de ces dépistages est très compliquée à présenter aux patients de façon honnête : comment leur annoncer que la conséquence est une diminution statistique et globale du risque, mais pas individuelle ? que sur 100 patients à qui on va proposer une prise en charge personnalisée, 99 ne vont pas en tirer de bénéfices ? »

La solution est peut-être à chercher du côté des conséquences « douces » de ces tests génétiques, comme le pense Philippe Froguel : « Si on optimise le dépistage et la personnalisation des traitements, la prévention, qui marche déjà à court terme, marchera aussi à long terme. C’est ce que nous faisons avec PréciDIAB [voir encadré] : nous cherchons à développer le ‘nutri-génomique’ pour savoir ce que mangent les personnes diabétiques, et pour leur donner des conseils personnalisés – car un même aliment, qui fait monter la glycémie pour M. Untel, ne le fera pas pour son voisin… »

Clé d’une prévention optimisée et ultra-personnalisée, la génomique peut représenter un espoir pour les personnes diabétiques à travers le monde.

[1] Les consultations de conseil en génétique sont assurées par un médecin généticien et parfois complétées par l’intervention d’un conseiller en génétique exerçant sous la responsabilité du médecin.

Les mots, l’histoire, la loi

Génie génétique, séquençage du génome, thérapie génique… Entrée sur la pointe des pieds dans notre quotidien il y a une trentaine d’années, la génomique prend une place croissante, à mesure que les recherches se multiplient et que les découvertes sur le génome humain progressent.

Séquencé dans sa totalité en 2001[2], le génome humain fait désormais l’objet d’investigations poussées afin de tenter d’identifier, parmi les 0,9% de gènes spécifiques à chaque personne, « qui est responsable de quoi »… Toutes les spécialités médicales et toutes les pathologies sont concernées. Le diabète, évidemment, n’échappe pas à la règle.

En France, un examen génétique ne peut être réalisé qu’à des fins médicales, judiciaires ou de recherche scientifique. Il doit être réalisé dans un laboratoire autorisé. L’examen doit se faire avec l’accord explicite de la personne concernée ou de ses représentants légaux. Les bonnes pratiques de cet examen sont encadrées par l’arrêté du 7 juin 2013, objet de l’article L. 1131-2 du code de la santé publique.

[2] L’annonce en a été faite deux ans plus tard, le 14 avril 2003

Si vous n’aviez pas lu la première partie de cet article : 

La connaissance du génome, espoir pour 400 millions de diabétiques – #1