Peut-on prédire, en analysant l’ADN d’une personne, si elle risque de développer un diabète ? L’examen génétique est-il une science exacte ? Chez les personnes diabétiques, comment ce test permet-il de mettre en place un traitement personnalisé ? Pourquoi permet-il à certains de ne plus avoir besoin d’insuline ? Tous les Français peuvent-ils avoir accès à un diagnostic génétique ?

Le diabétologue et généticien Philippe Froguel et le pharmacologue hospitalier François Gueyffier éclairent de leurs regards d’experts cet état des lieux (en deux épisodes) de la génomique du diabète.

Le Pr Froguel commence par son exemple le plus parlant. « Notre équipe suit depuis 20 ans une famille au sein de laquelle plusieurs personnes sont diabétiques, raconte-t-il. L’une d’elles est devenue diabétique à 16 ans, a été mise sous insuline et l’a mal vécu, car elle voulait faire le tour du monde. Lorsqu’elle est entrée dans notre protocole de recherche, elle nous a dit : « Trouvez la cause de mon diabète et enlevez-moi l’insuline ! » On a trouvé, on l’a mise sous sulfamide, et elle a pu faire son tour de monde… »

Un « simple » test ADN pour trouver les causes d’un diabète

Comment cette adaptation, qui a changé la vie d’une famille, a-t-elle été rendue possible ? Tout débute par un « simple » test. « On fait une prise de sang et de salive, et on analyse l’ADN qu’on en extrait », en le comparant à des profils génétiques types. Ces résultats permettent de dire si le génome de la personne est porteur d’anomalies, comme lorsqu’on fait – par exemple – un test pour savoir si son fœtus porte un risque de trisomie. Ces anomalies ne sont pas forcément synonymes de maladie : certaines seulement sont « pathogènes ».

Mais surtout, dans le cas du diabète, l’analyse permet d’identifier certaines causes de la maladie et de la « cartographier » de façon beaucoup plus précise que ne le fait l’observation clinique. Résultat : la possibilité d’un traitement personnalisé, qui permet à certains patients – comme dans l’exemple cité – de se passer d’insuline ! Pour le pharmacologue François Geyffier, cette connaissance « constitue un bagage utile et riche pour mieux prendre en charge les patients, bien sûr, mais aussi pour éviter les effets indésirables de certains traitements, ou pour en prévenir l’efficacité individuelle chez certains patients ! »

Impossible en France en dehors du cadre de la recherche

Porteuse d’un formidable espoir pour toutes les personnes atteintes d’un diabète, cette technique de dépistage des causes d’un diabète ne peut cependant être réalisé que dans le cadre très strict d’un protocole de recherche. En France, contrairement à ce qui se passe par exemple au Canada, il est impossible de le pratiquer de façon libre. « Cela doit s’inscrire dans le cadre de la recherche publique, et doit être financé sur les crédits de recherche », regrette Philippe Froguel.

« Le coût n’en serait pourtant pas prohibitif, selon le diabétologue. Pas plus que les délais : l’analyse dure 3 heures, puis le généticien a besoin lui aussi de 3 heures pour établir un diagnostic génétique. Les séquençages sont réalisés en série pour des questions d’économies d’échelle, le délai final pour obtenir un résultat est donc d’environ un mois… » Une durée et un coût bien faibles au regard du bénéfice pour le patient… et pour la société toute entière !

Pour bien comprendre le rôle de la génomique dans la connaissance et la prise en charge des différents diabètes, il faut d’abord se rappeler que le diabète est toujours une maladie multifactorielle. Il possède bien sûr une dimension génétique, mais elle ne suffit pas toujours à expliquer l’apparition de la maladie, et elle ne conditionne pas non plus le diabète de la même façon chez toutes les personnes atteintes.

Une carte d’identité génétique pour regrouper les patients par typologie

Dès ses premières recherches sur les origines génétiques du diabète, il y a plus de 15 ans, le Pr Philippe Froguel pouvait ainsi affirmer que « plusieurs maladies de causes différentes vont conduire au même résultat, c’est à dire une hyperglycémie chronique : un diabète ». Il ajoutait déjà qu’il était illusoire « d’imaginer qu’un seul mécanisme génétique pourrait être suffisant pour expliquer une maladie qui touche deux cent millions de personnes »[1]… Pas suffisant, mais nécessaire : c’est lui que les chercheurs rendent en partie responsable des échecs de la prise en charge médicale du diabète…

Faciliter le diagnostic, rendre les traitements plus efficaces, « permettre un parcours de soin individualisé et optimisé » : de cette triple promesse, Philippe Froguel a fait un véritable mantra, qui guide toute son action depuis plusieurs décennies. « Tous les diabétiques n’ont pas besoin de certains traitements comportant des effets secondaires », affirme-t-il ainsi. Le chemin pour y parvenir est encore long, mais sur la bonne voie : « Des études non publiées nous montrent par exemple que près de 10% des diabétiques possèdent des anomalies génétiques qui génèrent une forme particulière de diabète, et nécessitent un traitement particulier. La ‘carte d’identité génétique’ que nous pouvons dresser pour les diabétiques nous permet de regrouper les patients par typologie, pour mieux les traiter. »

Pour offrir aux personnes atteintes de diabète une véritable « médecine la carte » ?

[à suivre…]

[1] La découverte des gènes du diabète, BioTV pour Canal U, avril 2002 (vidéo, canal-u.tv). Le chiffre est celui de l’époque.

Philippe Froguel est médecin et chercheur en endocrinologie, biologie moléculaire et génétique. Il est professeur à l’Imperial College de Londres et à l’Université de Lille 2.

Son équipe, associée à celle de Rob Sladek de l’Université McGill (Montréal), a identifié le génome des diabétiques de type 2 (DT2) en 2007, en utilisant pour la première fois au monde une nouvelle technologie utilisant des puces à ADN. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature (février 2007).

Il dirige PreciDIAB, un institut de recherche associant la Métropole Européenne de Lille (MEL), le CHU de Lille, l’Université de Lille et Eurasanté. Ce laboratoire a pour mission de modifier en profondeur, à l’horizon 2030, la façon dont les diabétiques sont suivis en France. Il s’agit de développer, en collaboration avec les patients, une médecine dite « 4P » : prédictive, préventive, personnalisée et participative. Associée à la télémédecine, à la médecine ambulatoire du diabète et à son traitement multidisciplinaire, la génétique en est une composante.

François Gueyffier est médecin cardiologue, membre du service de pharmacotoxicologie et du service des données de santé des Hospices Civils de Lyon. Il est professeur de pharmacologie à l’Université de Lyon Est et anime une équipe d’« Évaluation et Modélisation des Effets des Thérapeutiques » dans le laboratoire de biométrie et biologie évolutive. Il est auteur de plusieurs méta-analyses sur la prévention des accidents cardiovasculaires par les traitements antidiabétiques.