Il y a un mois, nous vous présentions une interview du Dr Clément Vansteene, psychiatre, consacrée aux troubles des conduites alimentaires (TCA), disponible ici. La Fédération Française des Diabétiques et le Diabète LAB ont souhaité recueillir les témoignages de différents professionnels partageant leur expérience auprès des personnes vivant avec un diabète et un TCA. Aujourd’hui, nous vous invitons à rencontrer Inès Aaron, psychologue clinicienne exerçant en service de diabétologie. Retrouvez la synthèse sur le site de la Fédération Française des Diabétiques en cliquant ici.

Pourriez-vous nous parler de vous ?

Je suis psychologue en libéral et je travaille aussi à l’hôpital dans un service de diabétologie. Quand je me suis installée en libéral, j’ai accompagné de nombreuses personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires, que ce soit de l’anorexie mentale, de la boulimie compensatoire ou de l’hyperphagie. Depuis que je m’intéresse particulièrement au diabète, je découvre l’articulation diabète-TCA qui complique encore plus la compréhension des troubles des conduites alimentaires.

Avez-vous fait des spécialités dans votre parcours de psychologue ?

J’ai fait mes études à l’université, avec une spécificité orientée vers la psychologie de l’enfant, psychologie de développement. Cela étant, j’ai souhaité me former à la gestalt thérapie, parce que je trouvais que ma formation universitaire était hyper intéressante et m’avait appris beaucoup de choses très théoriques, et que je me trouvais en difficulté pour réellement accompagner des patients en thérapie.

Point sur la Gestalt thérapie

La Gestalt-thérapie est une approche psychothérapeutique qui met l’accent sur la prise de conscience de l’instant présent, la responsabilité individuelle et l’interaction entre l’individu et son environnement. Elle considère l’être humain comme un tout unifié (corps, émotions et pensées) et cherche à restaurer une fluidité dans son expérience en mettant en lumière les blocages et les schémas répétitifs qui entravent son développement personnel. La Gestalt est indiquée pour les personnes qui souhaitent se libérer et travailler sur des problématiques non résolues de leur passé. L’approche repose sur le dialogue, la mise en situation et l’expérimentation, favorisant ainsi une transformation active et une meilleure compréhension de soi dans l’ici et maintenant.

Un patient atteint d’un diabète de type 2 éprouve une frustration et un sentiment de découragement face à la gestion quotidienne de son traitement, mais il a du mal à exprimer ses émotions. En Gestalt-thérapie, il est encouragé à explorer ses ressentis dans l’instant présent, en prenant conscience des tensions corporelles et des pensées automatiques qui l’empêchent d’accepter sa maladie. Grâce à cette prise de conscience, il peut progressivement changer sa relation au diabète, en développant une attitude plus bienveillante envers lui-même et en retrouvant une forme d’autonomie dans sa gestion thérapeutique.

Selon vous, en quoi la psychologie est importante pour la prise en charge des troubles des conduites alimentaires ?

Essayer de comprendre des mécanismes psychologiques par le biais de la psychologie me paraît intéressant. Accompagner des personnes qui souffrent de troubles des conduites alimentaires avec une psychothérapie me semble pertinent car celle-ci est spécialement conçue pour accompagner les personnes en souffrance. Après, est-ce que cela aide ? Est-ce vraiment utile ? Sortons-nous d’un TCA grâce à une psychothérapie ? Dans les troubles des conduites alimentaires, il y a une énorme ambivalence. Les personnes sont conscientes qu’il y a quelque chose qui ne va pas, mais ils sont aussi très attachés à leur comportement.

Suivez-vous des personnes atteintes d’un diabète de type 1 ou 2 avec un TCA dans votre patientèle ? Suivez-vous majoritairement des hommes ou des femmes ?

Je suis beaucoup de patients atteints de diabète de type 1 ou 2. Parmi mes patients atteints de diabète et de TCA, je n’ai pas de patients hommes. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en pas, je n’en ai pas. J’ai une patientèle masculine atteinte d’un diabète, mais elle ne vient pas pour des TCA. Ils n’ont pas de TCA selon eux. Parmi les patients souffrant de diabète que je rencontre, j’ai plus de personnes vivant avec un diabète de type 1 plutôt que de type 2.

Comment accompagnez-vous des personnes vivant avec un diabète et un TCA ? Ces entretiens sont-ils individuels? S’agit-il d’entretiens par groupe ?

Je ne fais que de la thérapie individuelle. Non pas que je pense que les groupes ne seraient pas pertinents, au contraire. Pour l’instant, je n’ai pas eu l’occasion, ou je n’ai pas eu le temps mais c’est certainement très intéressant.

Est-ce que l’accompagnement psychologique est-il pris en charge pour les personnes souffrant d’affection de longue durée (ALD) comme le diabète ?  Les séances de psychologie, à la fois dans un contexte hospitalier ou dans votre pratique en libéral, sont-elles remboursées ?

À l’hôpital oui, dans le cadre des consultations en service de diabétologie. Je ne suis limitée que par mon temps de présence à l’hôpital. Le patient n’a rien à payer quand il vient me voir parce que je lui donne un rendez-vous.

Dans mon activité libérale, certaines mutuelles remboursent les séances de psychologie, en lien ou non avec l’ALD diabète. Le dispositif Mon Soutien Psy permet d’être remboursé de 12 séances par an, à hauteur de 50 euros chacune.

Mon Soutien Psy

Mon Soutien Psy est un dispositif mis en place en France pour faciliter l’accès à un accompagnement psychologique. Il permet de bénéficier de consultations avec un psychologue conventionné, prises en charge en partie par l’Assurance maladie. Ce soutien peut aider à mieux gérer l’impact émotionnel du diabète, le stress lié aux traitements, ou encore la fatigue et la culpabilité parfois ressenties face à la maladie. Pour en bénéficier, il suffit d’une orientation par un médecin (généraliste ou spécialiste), ouvrant droit à un parcours de plusieurs séances remboursées en partie. Ce dispositif vise ainsi à améliorer le bien-être psychologique des patients en leur offrant un accès facilité à un soutien adapté.

Quelles spécificités du diabète pourraient favoriser l’apparition d’un TCA ?

Il y en a de nombreuses. Actuellement, nous considérons que dans les troubles des conduites alimentaires, il y a une « insatisfaction au niveau corporel ». On n’aime pas son corps. Cette insatisfaction va conduire à des mécanismes plutôt d’ordre restrictif, et ces comportements restrictifs vont donner lieu à des craquages. Il s’agit d’une boucle d’insatisfaction corporelle ou la restriction alimentaire entraîne des moments de crise. Et dans le diabète, le traitement consiste à faire très attention à son alimentation, à compter ses glucides, à porter une grande attention au contrôle pondéral, au contrôle de l’alimentation, et de l’activité physique. Il me semble, en tout cas, qu’il y a de nombreuses personnes atteintes de diabète de type 1, par exemple, qui sont rentrées dans un trouble des conduites alimentaires, pour lesquelles elles avaient peut-être une prédisposition, mais dans lequel elles ne seraient jamais tombées à ce point, si elles n’avaient pas été atteintes dudiabète

Comment les personnes atteintes de diabète et de TCA sont amenées à vous consulter ?

La plupart du temps, les personnes qui ont un diabète et des TCA ne viennent pas pour leur TCA. Je m’en rends compte, mais longtemps après le début des consultations. Soit parce que je n’avais pas l’idée, soit parce qu’elles me l’ont caché. Enfin, « caché », pas parce qu’elle voulait mentir, ou ne pas le dire au psychologue, mais parce qu’il y a quelque chose de l’ordre, probablement de la honte, de la gêne.

Avec quel professionnel de santé collaborez-vous le plus ?

Quand les patients que je rencontre ont un diabétologue et un psychiatre, je collabore avec les deux. Autant l’un que l’autre, toujours avec l’accord du patient.

Pouvons-nous parler de guérison des TCA ?

Nous devrions nous mettre d’accord sur ce que nous entendons par : « guérir ». Est-ce que cela signifie être totalement débarrassé de toute préoccupation liée à l’aspect corporel et à l’alimentation ? Pas nécessairement, mais au moins que ces préoccupations retrouvent une place similaire à celle qu’elles occupent habituellement chez la plupart des gens.

Et comment accompagner les rechutes ?

De la même façon qu’on accompagne un fumeur qui a réussi à arrêter pendant 20 ans et qui se remet à fumer. Il s’agit de faire preuve de bienveillance, d’accompagnement et d’indulgence sur la rechute du patient. Et même le fait de valoriser l’expérience de l’arrêt, ça n’en fera que plus d’expérience pour la suite, même s’il y a eu rechute. Lorsque le patient s’en est déjà sorti une fois, c’est de très bon augure, parce qu’il sait comment il a fait, et il sait ce qui se passe, nous savons comment ça marche, nous savons que ça marche et que cela peut marcher.

Quels conseils donneriez-vous aux familles ou aux proches pour soutenir une personne vivant avec un diabète qui souffre de TCA ?

Ce n’est pas facile parce qu’évidemment, ces conseils ne marchent pas pour tout le monde. Mais globalement, l’idée est de montrer à son proche que nous sommes présents, intéressés par ce qui lui arrive et curieux de le comprendre, sans porter de jugement. Faire culpabiliser ou faire peur ne marche pas. Cela conduit plutôt les personnes à mentir et à perdre la confiance. Nous pouvons, en tant que proche, manifester son intérêt, être assez transparent sur sa préoccupation, mais sans en rajouter non plus. C’est ça qui n’est pas facile. Lorsque nous sommes parent d’un jeune qui se met en danger en omettant de se traiter à l’insuline, cela doit être terrifiant ; et en même temps, il s’agit d’avoir la capacité de dire que nous sommes est inquiet, mais sans envahir le proche avec son inquiétude ou avec son jugement. Donc, bienveillance, curiosité, congruence, comme dirait Carl Rogers, donc transparence un peu sur ce qu’on ressent, patience, espoir.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose, pour conclure cet entretien ?

Je dirais espoir, espoir qu’on s’intéresse plus à l’articulation diabète-trouble des conduites alimentaires, parce que je trouve qu’il n’y a pas encore assez de spécialistes de ces deux domaines croisés, ni même d’études sur la manière d’accompagner au mieux ces personnes-là, mais certitude que ça va se faire.

Pour en savoir plus :

Découvrez notre série d’entretiens dédiée au diabète et aux TCA 

 

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