Comprendre l’adhésion aux recommandations médicales chez les personnes vivant avec un diabète de type 2 : enseignements de l’étude Adhéreco
Auteur : Arnaud Bubeck
Le diabète de type 2 (DT2) touche de plus en plus de personnes en France et dans le monde. La prise en charge médicale de cette maladie repose sur des recommandations établies par des organismes de référence comme la Haute Autorité de Santé (HAS) et la Société Française de Diabétologie (SFD). Ces recommandations concernent différents aspects des thérapies, des parcours de soins et des examens à réaliser, et peuvent différer en fonction du type de diabète, des comorbidités et de l’état d’avancement de la maladie. Les plus récentes insistent par exemple sur les complications rénales et cardiovasculaires, et non plus uniquement sur l’équilibre glycémique. Malgré des avancées thérapeutiques, de nombreux patients rencontrent des difficultés d’application et des résistances face aux recommandations, notamment en raison de facteurs individuels, sociaux et organisationnels.
Pour mieux comprendre cette réalité, le Diabète LAB a mené l’étude Adhéreco en 2024, avec une analyse quantitative et qualitative sur l’adhésion aux recommandations, ainsi que sur la perception et l’implication des patients dans leur parcours de soins. L’objectif de l’étude était notamment d’évaluer les freins, les résistances et les stratégies d’adaptation des personnes atteintes de DT2 face aux recommandations médicales, et de mieux connaitre leurs besoins et leurs attentes à cet égard.
Méthodologie
Adhéreco repose sur une approche combinant questionnaires et entretiens approfondis.
La partie quantitative de l’étude a inclus 1 517 personnes atteintes de DT2, âgées de plus de 18 ans, vivant en France, et ayant donné leur consentement. L’analyse a porté sur des profils cliniques divisés en 4 groupes, en comparant l’adhésion aux traitements, la capacité à suivre les recommandations et l’implication dans les changements de traitements.
Les 4 groupes étaient constitués ainsi, avec à chaque fois le nombre de personnes dans les groupes :
- Surpoids / obésité (N=674) ;
- Avec Antécédent cardio-vasculaire (CV) (N=436) ;
- Haut risque CV (N=209)
- Sans complication CV (N=198).
Les critères d’adhésion aux recommandations étaient les suivants :
- Pour les personnes en situation d’obésité : absence d’AGLP1.
- Pour les personnes avec des problèmes cardiovasculaires avérés : absence d’AGLP1 ou d’ISGLT2.
- Pour les personnes à haut risque cardiovasculaire : absence d’AGLP1 ou d’ISGLT2.
- Pour les personnes récemment diagnostiquées ou sans complication : absence de Metformine
AGLP1 – Agoniste du GLP1 (Ozempic®, Trulicity ®, Victoza®, Bydureon®)
Les AGLP1 sont des médicaments utilisés pour traiter le diabète de type 2. Ils imitent une hormone naturelle appelée GLP-1, qui aide à réguler la glycémie (taux de sucre dans le sang) en stimulant la sécrétion d’insuline, en ralentissant la vidange de l’estomac et en réduisant l’appétit. Ils sont particulièrement recommandés pour les personnes ayant un risque élevé de maladies cardiovasculaires ou en surpoids.
ISGLT2 – Inhibiteurs de SGLT2 (Invokana®, Jardiance®, Forxiga®, Synjardy®)
Les ISGLT2 sont des médicaments qui agissent en empêchant les reins de réabsorber le sucre, ce qui entraîne son élimination par les urines. Cela aide à baisser la glycémie de façon durable. Ils sont aussi reconnus pour protéger le cœur et les reins, ce qui est important pour les patients à risque de complications cardiovasculaires ou rénales.
Metformine (Glucophage®, Stagid®)
La metformine est le médicament de première intention (le premier prescrit) pour le diabète de type 2. Elle agit en diminuant la production de sucre par le foie et en améliorant l’efficacité de l’insuline dans le corps. Elle aide à contrôler la glycémie sans entraîner de prise de poids ni d’hypoglycémies (baisse excessive de sucre).
En parallèle, une étude qualitative a été réalisée à travers 9 entretiens approfondis avec des personnes atteintes de DT2. Cette approche a permis d’analyser en profondeur les représentations et perceptions des recommandations, les stratégies d’adaptation face aux contraintes du traitement, ainsi que le rôle des professionnels de santé et des réseaux d’information dans l’adhésion thérapeutique.
Résultats de la phase quantitative
Le suivi des recommandations diffère grandement selon les groupes, allant de 93,9% pour les personnes sans complication cardiovasculaire, à 38,7% pour les personnes en situation d’obésité, 33,5% pour les personnes à haut risque cardiovasculaire, et 47% pour les personnes ayant des antécédents cardiovasculaires.
Les I-SGLT2 et les A-GLP1 sont des thérapies médicamenteuses sous utilisées pour ces groupes, dont en particulier les personnes à haut risque cardiovasculaire. Les résultats des personnes sans problème cardiovasculaires sont plus complexes à appréhender, puisqu’elles étaient 93,90% à bénéficier de metformine, mais les 6,10% qui n’en bénéficient pas ne sont pas forcément dans un non suivi des recommandations, puisque l’absence de prescription de ce médicament peut être dû à des intolérances par exemple.
Les personnes atteintes de diabète de type 2 suivies par un diabétologue libéral étaient significativement plus nombreuses à suivre les recommandations (50,2%) que celles suivies par un diabétologue hospitalier (37,5%) et que celles suivies par un médecin généraliste (27,1%).
Nous avons également souhaité mesurer l’observance thérapeutique, c’est-à-dire le fait de suivre le traitement tel qu’il a été prescrit. L’observance mesurée dans cette population des personnes atteintes de diabète de type 2 est globalement bonne, avec des variations significatives entre les sous-groupes. Les personnes en situation de surpoids et d’obésité présentent les plus grandes difficultés (10,8% de non-observance). La principale cause de non-prise des médicaments est la rupture de stock, touchant notamment les A-GLP1.
Résultats de la partie qualitative
Les entretiens ont permis d’approfondir ces thématiques au-delà de la simple prescription médicamenteuse. Ils ont mis en lumière que la prise de médicament ne constitue qu’une partie du parcours de santé. Plusieurs participants ont exprimé une connaissance limitée de leurs traitements et des recommandations médicales. Trop souvent, les patients ignorent pourquoi un traitement leur est proposé, et reçoivent peu d’explications sur les effets secondaires, ce qui limite leur capacité à devenir pleinement acteurs de leur parcours de soins.
Les résultats de cette partie permettent de replacer les recommandations dans un contexte plus global de la vie des personnes atteintes de DT2, et d’observer le poids que ces recommandations peuvent avoir dans leur quotidien. Plusieurs personnes ont fait part de cette difficulté, notamment vis-à-vis du nombre important de tâches à accomplir pour suivre les règles hygiéno-diététiques, les parcours de soins, les examens médicaux et l’« observance » du traitement. De plus, malgré la volonté de « bien faire » de certaines personnes, les résultats sur la maladie et la prévention des complications restent incertains, comme l’a expliqué une personne rencontrée :
« Si on applique tout à la lettre, d’un point de vue purement théorique sur le diabète, je vous dirais vraiment… ça veut dire que si on a un accompagnement alimentaire. Maintenant, quel serait une nouvelle fois l’impact du stress derrière ? Voilà, c’est à dire qu’aujourd’hui je suis en théorie je suis tenté de vous dire que je fasse tout bien comme le meilleur, le premier de la classe. Mais même en faisant ça, je suis pas sûr que j’arrive à stabiliser. Mais c’est mon ressenti complètement, mon diabète parce que les facteurs de stress moi me semblent parfois quand même comme une chape de plomb qui vous tombe dessus régulièrement quoi et ça c’est une inconnue. Et pour moi, c’est l’inconnu.(…) je peux pas contrôler le stress qui n’est pas un facteur qui m’incombe à moi tout seul. J’ai la société, mes clients… » – Fabien, 51 ans, chef d’entreprise, bac+5
Fabien souligne que, même en suivant scrupuleusement les recommandations (alimentation, hygiène de vie), il ne parvient pas à stabiliser son diabète, principalement en raison du stress professionnel et sociétal qu’il considère comme un facteur externe incontrôlable. Cette personne qui doit gérer une situation professionnelle complexe et le stress de sa vie personnelle, mais également l’incertitude de l’évolution de sa maladie, ce qui l’amène parfois à une forme de lâcher prise. La liste des recommandations est en effet très longue pour les PvDT2, comme en témoigne ne serait-ce que le nombre de rendez-vous médicaux chez des spécialistes chaque année. Ces rendez-vous sont évidemment très importants, mais ils peuvent représenter une charge et une sur-médicalisation qui risque également d’impacter la qualité de vie, et in fine la santé. Une personne interrogée a par exemple été amené à trouver du positif dans une hospitalisation qui lui a permis d’annuler des rendez-vous médicaux :
« Cette année j’ai été hospitalisée un bon bout de temps donc j’ai loupé pas mal de rendez-vous avec elle, et en fait je me suis rendue compte que ben c’était pas plus mal parce qu’en fait j’ai tellement de rendez-vous médicaux que en fait quand il y en a un qui s’annule je souffle. » – Nathalie, F, 60 ans, en invalidité mais aide son mari pour son entreprise.
Un autre élément qui ressort des entretiens concerne le caractère socialement construit des recommandations médicales. Ces dernières sont en évolution, en fonction de la littérature scientifique et des nouvelles découvertes, mais également par rapport aux discours qui circulent entre les acteurs. La façon de percevoir tel traitement ou tel geste de prévention sera dépendant des représentations sociales associées. Par exemple, le cœur est un organe qui est perçu comme plus important à protéger que les reins, et pour lequel les actes de prévention sont mieux connus :
« Alors pour le cœur j’aurais tendance à dire que c’est peut être plus dans les mœurs, c’est plus facile à lire, je m’explique, le cœur je fume pas donc je sais que mes artères sont pas bouchées. Je mange pas spécialement hyper gras, je fais du sport (…) Après pour les reins c’est un peu plus difficile, moi je me fis que aux examens. Mais je sais que je bois quand même pas mal. Euh je sais que bah mon diabète qui est pas stabilisé peut avoir une incidence importante euh mais en même temps les examens au niveau des reins sont bons voilà. » – Fabien, H, 51 ans, chef d’entreprise, bac+5
Les personnes rencontrées construisent ainsi leurs propres recommandations en fonction de leur vécu, et des représentations sociales associées aux traitements, aux gestes de prévention, etc. Le fait de vouloir bien faire peut également un stress, et une culpabilité de ne pas suivre ce qui est recommandé. L’impact des recommandations peut grandement varier entre les acteurs, entre ceux qui le vivent bien, et ceux qui ont du mal à les incertitudes, l’évolution de la maladie, les effets secondaires des traitements, etc.
Devenir acteur de son traitement
Face à cette charge importante, de nombreuses personnes rencontrées construisent leurs propres objectifs de santé, par rapport à leurs connaissances, mais aussi leurs ressources et l’équilibre qu’elle recherche entre suivi des recommandations et maintien d’une qualité de vie. Certaines personnes deviennent actrices de leur parcours de soin en construisant leurs propres normes, en fonction de leur vécu et des effets perçus des traitements. La prise d’un médicament peut ainsi faire l’objet de négociations avec le médecin traitant :
« – Et en qui avez-vous le plus confiance ?
– Alors en moi même d’abord, ce qui est déjà pas mal, c’est moi qui adapte, c’est moi qui adapte très clairement. Les statines, quand j’ai commencé à les prendre, on a changé de statine. J’avais mal partout, je pouvais plus marcher. J’ai dit, bon, ben, on va passer à la moitié du médicament et on verra, sinon on arrêtera. Et c’est moi qui ajuste. En fait, je suis une personne qui ajuste, elle (la diabétologue) prescrit et j’ajuste. » – Jean, 75 ans, ancien directeur, bac+5
Le fait de ne pas prendre un traitement tel qu’il a été prescrit n’est pas une évidence pour de nombreux patients, qui pensent devoir suivre à tout prix ce que le médecin leur dit. Mais certaines personnes rencontrées construisent leur autonomie face aux recommandations, en négociant avec leur médecin traitant et en adaptant les prescriptions à leurs vies. Plusieurs entretiens ont également mis en lumière le manque d’accompagnement et d’information pour devenir réellement acteur de son traitement et de son parcours de soins, malgré un besoin exprimé et manifeste :
« On me disait simplement que c’était moi qui gérais pas l’alimentation, mais on me donnait pas de clé. En dehors de me dire il faut éviter le sucre, il faut faire du sport. Mais quand je faisais du sport et ben je faisais des hypos. Du coup J’anticipais donc je prenais du sucre. Ah du coup j’ai pris du poids et au final ils me disaient que non, c’était de ma faute quoi. Mais ils restaient sur des examens généraux quoi, ils essayaient pas de comprendre plus que ça pourquoi je réagissais comme ça. Du coup, complètement perdu et ne plus savoir vers qui se tourner. (…) moi j’aurais bien aimé réellement qu’on m’explique l’impact, qu’on m’explique réellement comment fonctionne les médicaments par rapport à mes hypers et à mes hypos, pour que je puisse bien comprendre et tout faire bêtement quoi, parce qu’on me dit bah voilà, il faut que t’injectes tant. Voilà tu fais ça comme ci, comme ça. Et moi j’aurais vraiment bien aimé qu’on m’explique pourquoi justement un peu plus dans le fond que de la forme. » – Hervé, H, 45 ans, niveau bac
Face aux recommandations, plusieurs réactions sont possibles, comme l’acceptation, le suivi, la résistance, ou le contournement. Ces injonctions lorsqu’elles sont mal adaptées, ou mal prescrites, induisent parfois une errance thérapeutique, une culpabilité ressentie et de l’incompréhension. Il y a donc un réel besoin d’accompagnement pour adapter les recommandations à la vie quotidienne et aux particularités de chaque personne. Il y a également un manque d’information, qui est susceptible d’accroitre les inégalités sociales de santé, entre ceux qui ont les ressources pour apprendre et comprendre, et les personnes plus défavorisées qui n’ont pas forcément les capacités pour comprendre les informations médicales et les adapter à leurs vies.
L’impact des relations aux professionnels de santé
Un des éléments les plus importants du rapport aux recommandations concerne la relation avec les professionnels de santé, et en particulier le médecin traitant. Pour certains participants à cette enquête, la confiance envers le médecin est essentielle pour suivre le traitement tel qu’il a été prescrit :
« Si je vois un médecin avec lequel j’ai pas confiance, sa prescription, il y a peu de chances que je que je la prenne longtemps. » – Homme, 70 ans, retraité, bac +8
Des conflits peuvent apparaitre dans la relation soignant/soigné, mais également entre médecin pour la gestion des cas complexe et des « cocktail de médicaments », qui incombe in fine au patient et doit être l’arbitre des recommandations qu’il reçoit de différentes sources.
« C’est un stress permanent puisque je la vois 2 fois par an mon endocrino et c’est moi qui lui dicte mon ordonnance. C’est très tendu, très tendu. (…) C’est que désormais elle ne veut plus donner de médicaments au-delà de l’insuline et considère aussi à juste titre mais il faut y mettre les formes que c’est au médecin généraliste de gérer les cocktails des médicaments. » Homme, 75 ans, ancien directeur, habite en zone urbaine, bac+5
Les entretiens mettent ainsi en avant le manque d’information et d’accompagnement vis-à-vis des traitements et des recommandations hygiéno-diététiques. Les patients ne savent généralement pas pourquoi ils doivent suivre une recommandation ou un traitement, malgré leurs demandes et leurs besoins exprimés. Très peu d’explications leur sont donnés sur les effets secondaires des traitements, ce qui nuit à leur capacité à être acteurs de leurs parcours de soins.
Conclusions et perspectives
L’étude Adhéreco souligne que l’adhésion aux recommandations médicales pour le diabète de type 2 reste perfectible, tant sur le plan des prescriptions que sur celui de l’implication des patients. Elle met en évidence un écart significatif entre les recommandations thérapeutiques et leur application réelle, influencé par le niveau d’information, l’accompagnement médical et l’environnement socio-économique.
Les personnes atteintes de DT2 développent leurs propres stratégies d’adaptation, parfois en contradiction avec les recommandations médicales. L’accès à l’information et un accompagnement personnalisé sont essentiels pour améliorer l’adhésion thérapeutique. Les professionnels de santé jouent un rôle central dans la transmission des recommandations et la gestion des traitements, et doivent expliquer davantage les effets des traitements, et accompagner les patients pour qu’ils construisent leurs propres normes adaptées à leurs vies. L’adhésion passe aussi par le développement de la littératie en santé pour favoriser une prise de décision partagée. Enfin, la reconnaissance du rôle des pairs et des structures comme la Fédération Française des Diabétiques et ses diverses actions pour fournir un soutien adapté et fiable. Cela ouvre également de nouvelles perspectives de prises en charge afin d’améliorer la qualité de vie des patients DT2 et de les sensibiliser aux recommandations de santé de la Haute Autorité de Santé.
En perspective, il parait essentiel de continuer à co-construire les recommandations avec les patients eux-mêmes, afin qu’elles soient plus vivables, compréhensibles et adaptées aux parcours individuels. Ces résultats interrogent et ouvrent également de nouvelles perspectives de prises en charge afin d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de DT2, et de sensibilisation pour tous les acteurs aux recommandations de santé.
Une nouvelle fois, l’ensemble du Diabète LAB remercie chaleureusement les personnes prenant le temps de prendre part aux études menées. Sans vos participations, le Diabète LAB ne pourrait vous proposer des contenus riches et variés, alors MERCI.
Etude financée par les laboratoires Boehringer et Lilly.