Étude qualitative sur les représentations vaccinales des personnes diabétiques, de leurs proches et des parents d’enfants diabétiques
Poliomyélite, Rougeole, Rubéole, Tuberculose, Diphtérie, Tétanos… Autant de noms que nous connaissons bien, sans pour autant n’avoir jamais été directement, ou indirectement, touchés par ces maladies. Alors qu’elles étaient responsables de centaines de milliers de morts et d’encore plus de lésions physiques et/ou neurologiques il y a encore un siècle, la vaccination a permis d’en diminuer drastiquement la prévalence dans la plupart des pays industrialisés, au point que la plupart d’entre elles semblent n’avoir jamais existé. Pourtant, la vaccination contre ces maladies reste particulièrement importante comme peut en témoigner l’augmentation importante des cas de rougeole en France entre 2008 et 2011 et 2018/2019. En 2019, 86 à 88% des cas de rougeole sont survenus chez des sujets non ou mal vaccinés [1].
Fortes de leur communauté de plus de 3 500 000 personnes, soit près de 5,2 % de la population française, les personnes diabétiques tiennent, de fait, une place centrale dans la couverture vaccinale contre ces grandes maladies historiques, mais aussi contre des maladies en apparence plus communes. Le diabète, qu’il soit de type 1 ou de type 2, se caractérise par une hyperglycémie qui peut, à terme, engendrer de nombreuses complications micro vasculaires (rétinopathie, néphropathie, etc.) et macro vasculaires (insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral). Outre ces complications généralement bien connues, plusieurs études ont montré que les personnes diabétiques sont 1) plus susceptibles d’être infectées par une maladie et 2) qu’elles ont une probabilité plus importante d’avoir des complications graves à la suite d’une infection. Ainsi, l’incidence des infections à pneumocoques et de la grippe serait trois à six fois plus élevée chez les personnes diabétiques, et les complications de ces maladies seraient deux fois plus élevées chez elles que dans le reste de la population [4,5]. Malgré des recommandations claires, des études récentes construites sur des bases de données nationales françaises (Système National des Données de Santé, Groupement pour l’Elaboration et la Réalisation de Statistiques) ont montré que la couverture vaccinale des patients diabétiques était de 2 à 10% pour le vaccin antipneumococcique et de 48% pour le vaccin antigrippal [6,7]. Dans son référentiel sur la vaccination des patients diabétiques, la Société francophone du diabète recommande une meilleure intégration de la vaccination dans le parcours de soins du patient diabétique, tout particulièrement pour les vaccinations grippe, pneumocoque et zona.
Dans ce contexte, la Fédération Française des Diabétiques (FFD), en partenariat avec le laboratoire pharmaceutique MSD Vaccins a souhaité réaliser une étude chez les personnes diabétiques, les parents d’enfants diabétiques et leurs proches afin de mieux comprendre leur perception de la vaccination ainsi que d’identifier les freins et leviers susceptibles d’améliorer la couverture vaccinale de cette population.
Méthodologie
Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé 4 entretiens collectifs entre septembre et octobre 2021 :
- Avec un groupe de 4 personnes atteintes d’un DT1
- Avec un groupe de 5 personnes atteintes d’un DT2
- Avec un groupe de 4 parents d’enfants diabétiques
- Avec un groupe de 5 proches de personnes diabétiques (DT1 ou DT2).
L’étude a été réalisée selon la Méthodologie de Référence 004, recherche n’impliquant pas la personne humaine, études et évaluations dans le domaine de la santé. Elle a été enregistrée dans le répertoire des projets du Health Data Hub (N°F20210729115445).
Résultats
Caractéristiques des répondants
Sur l’ensemble des entretiens collectifs, l’âge moyen des répondants était de 56,2 ans. L’échantillon était constitué de 50% d’hommes et de 50% de femmes. 40% des répondants avaient un niveau d’études inférieur ou égal au baccalauréat et 60% un niveau d’études supérieur au baccalauréat. Les répondants étaient 6,7% à ne pas avoir d’avis sur la vaccination, 6,7% à ne pas être favorables à la vaccination, 40,0% à être plutôt favorables à la vaccination et 46,7% à être très favorables à la vaccination. La note moyenne attribuée par les répondants à leurs connaissances sur la vaccination était de 6,3/10 (0 : aucune connaissance ; 10 : parfaite connaissance).
Rapport des personnes diabétiques, de leurs proches et des parents d’enfants diabétiques aux vaccins obligatoires
Bien que vaccinées et conscientes des bénéfices individuels et collectifs associés à la vaccination, la plupart des personnes interrogées doutaient de la pertinence de la politique vaccinale française. Plusieurs facteurs paraissaient pouvoir expliquer cette attitude.
- Une méfiance généralisée envers l’industrie pharmaceutique. Celle-ci était sous-tendue par les différents scandales sanitaires (valproate de sodium, benfluorex, certains implants mammaires pré-remplis de gel de silicone, crise des opioïdes, etc.).
- Des soupçons de connivence entre l’industrie pharmaceutique et les politiques publiques. L’extension à 11 vaccins obligatoires promulguée le 30 décembre 2017 (contre 3 seulement avant) semblait avoir exacerbé ces doutes. À noter que les parents d’enfants diabétiques doutaient de la capacité de l’organisme des plus jeunes à supporter un si grand nombre de vaccins.
- Une incompréhension des fondements scientifiques de la politique vaccinale, en particulier depuis la simplification du calendrier vaccinal de 2013 (sur quels fondements expliquer le passage du rappel du vaccin DTP de tous les 10 ans à 25, 45 et 65 ans ?)
- Pour les personnes DT1 et les parents d’enfants DT1, une perception accrue des risques d’événement indésirables graves associés à la vaccination. Il s’agissait en particulier du risque de développer une maladie auto-immunitaire (ex : la sclérose en plaques), dans cette population déjà touchée par le DT1 – qui est une maladie auto-immunitaire.
- Plus largement, ces doutes paraissaient être alimentés par la surmédiatisation des polémiques associées à la vaccination, en particulier depuis les années 90.
Pour dépasser ces doutes, les personnes interrogées ont notamment insisté sur l’importance d’une politique vaccinale claire, transparente et personnalisée ainsi que sur l’identification de sources sûres et accessibles au grand public.
Statut vaccinal des personnes diabétiques, de leurs proches et des parents d’enfants diabétiques
Si les enfants diabétiques semblaient avoir leurs vaccins obligatoires à jour, ce n’était pas le cas de la majorité des adultes interrogés. Cette situation semblait pouvoir être attribuée à de la négligence ou un manque d’information, plus qu’à du refus.
- Contrairement aux enfants diabétiques dont le statut vaccinal fait l’objet d’une vive attention des différents professionnels de santé impliqués dans leur prise en charge (pédiatre/diabétologue et médecin généraliste), les adultes ne bénéficient que d’un suivi vaccinal minimaliste.
- C’est particulièrement le cas des DT2 et des proches qui ne bénéficient pas d’un accompagnement aussi régulier, notamment par la médecine du travail, que les DT1.
- Le carnet de santé, principal outil de suivi vaccinal, était largement considéré comme obsolète : perte, difficulté de lecture, etc.
- Le pharmacien était considéré comme un acteur opérationnel susceptible de réaliser la vaccination, mais pas de suivre le statut vaccinal des patients.
Pour pallier ces difficultés, les personnes interrogées ont notamment suggéré que les alertes et rappels vaccinaux soient gérés par l’Assurance Maladie, sur le même modèle que la campagne de vaccination contre la grippe – c’est-à-dire sous la forme d’un courrier reçu directement à domicile.
Rapport à la vaccination contre la grippe
Dans la mesure où l’organisation de la campagne de vaccination contre la grippe était généralement reconnue comme optimale, l’absence de vaccination pouvait être attribuée à d’autres facteurs.
- Contrairement aux DT2 généralement âgés, les DT1 et les parents d’enfants diabétiques ne se considéraient pas comme des populations à risque de développer des formes graves de grippe. De fait, certains d’entre eux ne voyaient pas l’intérêt de se faire vacciner.
- L’intérêt pour ce vaccin était quasi inexistant chez les personnes ayant déjà présenté des évènements indésirables (fièvre, douleurs musculaires et articulaires) à la suite d’une vaccination. Dans cette population la balance bénéfices/risques était perçue comme largement défavorable à la vaccination.
Pour les personnes qui ne se vaccinaient pas contre la grippe, le respect des gestes barrières semblait être la mesure de prévention la plus efficace et la plus pertinente.
Rapport à la vaccination contre la COVID-19
Le contexte sanitaire actuel, caractérisé par une reprise épidémique de la COVID-19 et l’injection d’une dose de rappel de vaccin, a évidemment monopolisé une grande partie des entretiens collectifs. Les points particulièrement intéressants dans cette population, entièrement vaccinée, sont :
- Le fait qu’aucun traitement ne permette de guérir du diabète, mais qu’il soit possible de mettre à disposition un vaccin contre la COVID-19 semblait accentuer la méfiance envers l’industrie pharmaceutique dont le principal intérêt serait « de garder les individus malades ».
- La surmédiatisation, les polémiques ainsi que les dissensus scientifiques et médicaux associés à la vaccination contre la COVID-19 étaient susceptibles de porter un préjudice majeur au rapport de la population à l’ensemble des vaccins.
- L’incompréhension de la politique vaccinale française semblait également participer à une certaine forme de méfiance.
Conclusion
La vaccination des personnes diabétiques, qu’il s’agisse des vaccins obligatoires chez les enfants ou des vaccins recommandés à compter de l’adolescence et chez l’adulte, est particulièrement importante dans cette population a priori considérée comme fragile et particulièrement exposée aux infections. Afin de mieux comprendre les représentations vaccinales des personnes diabétiques (DT1 et DT2), de leurs proches ainsi que des parents d’enfants diabétiques, nous avons réalisé quatre entretiens collectifs. Cette enquête reposant sur des entretiens collectifs, ces résultats n’ont pas prétention à être représentatifs de cette population, mais à mettre en exergue la complexité et la richesse de sa perception de la vaccination.
De façon générale, les personnes interrogées avaient un rapport favorable à la vaccination obligatoire. Il existait toutefois un sentiment de méfiance vis-à-vis de la politique vaccinale française, sous-tendu par des soupçons de connivence entre l’industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics. Plus de pédagogie dans la manière d’élaborer la politique vaccinale pourrait améliorer le rapport de cette population à la vaccination. Une meilleure information des patients sur les pathologies infectieuses et leurs prévention serait également un facteur important.
La plupart des personnes interrogées n’étaient pas à jour de leur statut vaccinal. Cette situation était principalement attribuable aux difficultés associées au parcours vaccinal : une fois adulte, il n’y a presque plus aucun suivi de la part des professionnels de santé. La gestion des rappels par la sécurité sociale pourrait améliorer la couverture vaccinale chez les adultes atteints de diabète et leurs proches. Ces rappels pourraient notamment être transmis aux pharmaciens afin que ceux-ci procèdent à la vaccination.
La campagne de vaccination antigrippale était considérée comme optimale en termes d’organisation. Les personnes les plus jeunes étaient tendanciellement moins favorables à cette vaccination que les plus âgés, en particulier lorsqu’elles avaient déjà expérimenté des évènements indésirables transitoires associés à cette vaccination. En l’état actuel, la prévention contre la grippe pourrait passer également par un rappel des gestes barrière, en complément de messages sur l’importance de cette vaccination.
Enfin, si toutes les personnes interrogées étaient vaccinées contre la COVID-19, les entretiens ont révélé une certaine incompréhension envers les autorités de santé. Celle-ci était notamment liée au parallèle entre le temps de développement et de mise sur le marché extrêmement court des vaccins et le temps d’accès à différents dispositifs médicaux particulièrement long (pompes à insuline patch, boucles fermées hybrides). À noter que les différentes polémiques médiatiques relatives à la COVID-19 pourraient avoir impacté la confiance des individus dans les autres vaccins.
Auteurs : Nicolas Naïditch, Coline Hehn.
Bibliographie
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