L’accroissement de l’espérance de vie permis par les nombreuses avancées médicales des dernières décennies a eu pour corolaire le vieillissement de la population ainsi que l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques. En 2012, le nombre de personnes atteintes d’une maladie chronique était estimé à 15 millions en France.

Parmi elles, le diabète de type 2 occupe une place à part entière. Avec plus de 3 500 000 patients pris en charge pharmacologiquement en 2019, soit près de 5,2 % de la population française, l’accompagnement des personnes atteintes de diabète constitue un véritable enjeu de santé publique 1,2. En plus des effets délétères du diabète sur la santé de ceux qui l’éprouvent, son coût médical direct (consultations, traitements, hospitalisations, etc.) et de ses complications est estimé à 7,7 milliards d’euros chaque année3,4.

Afin d’améliorer la prise en charge et l’accompagnement des personnes atteintes ainsi que l’efficience médico-économique du système de santé, la loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a introduit la notion de parcours de soins. L’Agence Régionale de Santé définit les objectifs finaux de l’approche par « parcours de soins » de telle sorte qu’une population reçoive « les bons soins par les bons professionnels dans les bonnes structures au bon moment. Le tout au meilleur coût5 ».

Le parcours de soins des personnes diabétiques de type 2 est construit par la Haute Autorité de Santé (HAS) autour de 6 épisodes de soins : 1) le repérage, le diagnostic et la prise en charge initiale ; 2) la prescription et les conseils d’une activité physique adaptée ; 3) la prescription et les conseils diététiques adaptés ; 4) l’initiation d’un traitement par insuline et 5) la découverte d’une complication6.

Si le parcours de soins « optimal » associé au diabète de type 2 semble bien identifié par les autorités de santé, force est de constater que de nombreuses personnes diabétiques sortent des sentiers battus. C’est dans ce contexte que la Fédération Française des Diabétiques et le laboratoire Novo Nordisk a souhaité réaliser une étude visant à explorer les difficultés rencontrées par les personnes diabétiques de type 2 dans leur parcours de soins.

Méthodologie

Afin d’identifier les difficultés rencontrées par les personnes diabétiques de type 2, le Diabète LAB de la Fédération Française des Diabétiques a réalisé une étude qualitative en avril et mai 2021 auprès de 10 personnes atteintes de diabète de type 2. Quatre entretiens semi-directifs, c’est-à-dire des discussions libres reposant sur un guide d’entretien, ont été réalisés. Ensuite, deux entretiens collectifs, constitués de trois participants ainsi que de deux animateurs (une designeuse en innovation sociale et santé & et un sociologue), ont été réalisés.

Résultats

L’orientation vers le diabétologue

Bien que le diabétologue soit, par définition, le médecin du diabète, la plupart des personnes diabétiques de type 2 n’en a jamais rencontré. Les médecins généralistes suivent seuls, sans recours au diabétologue, 87 % de ces personnes7. Lorsqu’elle a lieu, l’orientation vers ce spécialiste est généralement tardive. Les entretiens révèlent que celle-ci est principalement faite : 1) en cas de déséquilibre chronique du diabète, 2) de passage à l’insulinothérapie et 3) en cas d’apparition de complications. Comme l’illustre l’entretien de Mme B, les personnes qui rencontrent un diabétologue peuvent être à un stade critique de leur maladie.

Mme B : « Le diabétologue m’a vraiment mal reçu. Il m’a engueulé parce qu’il m’a dit à 13 d’hémoglobine glyquée on est hospitalisé. J’ai dit écoutez, moi j’y suis pour rien, c’est mon médecin. C’est pas moi qui ai refusé l’hospitalisation, on me l’a même pas proposée ».

La situation vécue par Mme B et plus largement susceptible de porter préjudice aux patients, considérés à tort comme les responsables de la dégradation de leur état de santé. Cette orientation tardive peut également être vécue comme « une perte de chance » par certains patients, comme peut en témoigner Mme E.

Mme E : « Mon médecin traitant, il connaissait le diabète, mais pas dans le détail. C’est pas un endocrinologue. C’est vrai que depuis que j’ai le suivi par le diabétologue j’ai de meilleurs résultats qu’avec le généraliste ».

Indépendamment des bénéfices directs associés à la rencontre d’un diabétologue (optimisation des traitements et par extension de l’équilibre glycémique), cette orientation inclut la plupart de ces personnes dans le circuit hospitalier. Or, dans un système aussi hospitalo-centré que le nôtre, c’est bien souvent à ce moment-là que les personnes diabétiques de type 2 bénéficient de formation d’éducation thérapeutique, incluant souvent pour la première fois un véritable accompagnement par un professionnel de la nutrition ou de l’Activité Physique Adaptée.

En résumé

  1. Le diabète de type 2 est très majoritairement pris en charge par les médecins généralistes.
  2. L’orientation vers un diabétologue est généralement faite en situation de crise, vraisemblablement plusieurs années après le diagnostic du diabète.
  3. Ceci peut être perçu comme une perte de chance d’autant plus importante que c’est à ce moment-là que les personnes diabétiques de type 2 sont les plus susceptibles de bénéficier de soins de support.

L’Activité Physique Adaptée et la Nutrition

La pratique d’une Activité Physique est identifiée comme une difficulté rencontrée par la majorité des personnes atteintes de diabète de type 2. Pour l’ensemble des participants, l’activité physique est considérée comme l’un des piliers de la prise en charge du diabète de type 2. Or, l’activité physique doit être adaptée à l’état de santé de chaque individu. Cette adaptation est d’autant plus importante que le diabète de type 2 touche principalement des personnes âgées de plus de 65 ans et qu’il est souvent accompagné d’autres maladies affectant les capacités fonctionnelles, telles que l’obésité ou « le pied diabétique ». Les participants ont cependant noté que la « prescription » – au sens de « il faut faire » – sans qu’une véritable information ne leur soit apportée, ne leur permettait pas la reprise d’une activité physique dans de bonnes conditions. Les quelques personnes qui ont pu bénéficier d’un accompagnement vers l’Activité Physique Adaptée (APA) regrettent d’en avoir bénéficié trop tardivement, la plupart du temps après plusieurs années d’évolution du diabète au moment de leur rencontre avec un diabétologue.

Mme B : « Ça m’a redonné le goût du sport, parce que je me limitais à beaucoup de choses. J’ai quand même deux prothèses de hanches. Et j’avais du mal à comprendre l’activité et j’avais peur, parce qu’avec mes prothèses je n’osais pas ».

Comme peut en témoigner Madame B, l’APA permet généralement de retrouver un certain niveau d’activité physique et, plus encore, de retrouver la confiance nécessaire aux activités physiques du quotidien.

L’adaptation du régime alimentaire est également identifiée comme l’une des difficultés rencontrées par la plupart des personnes atteintes de diabète de type 2. Pour l’ensemble des participants, l’alimentation est considérée comme l’un des piliers de la prise en charge du diabète de type 2. C’est également le cas de la HAS qui écrit que « Les soins diététiques doivent être intégrés au traitement du diabète de type 2. Leur efficacité est maximale au début du diabète, mais ils constituent une base du traitement tout au long de la maladie 6 ». Toutefois, et comme pour l’activité physique adaptée, la plupart des personnes n’ont consulté de nutritionniste et/ou de diététicien seulement plusieurs années après le diagnostic de leur diabète. Il en résulte des difficultés de compréhension et d’adaptation du régime alimentaire les premiers mois, voire les premières années de vie avec/contre le diabète.

M.B. : « Comme on allait à des groupes de parole qui étaient animés par un médecin diabétologue, elle nous disait « tel aliment a tel pourcentage de gras, de sucre… » On a appris à vivre, on a appris à manger ».

Le témoignage de M. B illustre l’importance des formations sur la nutrition. La compréhension des concepts nutritionnels permet souvent aux personnes diabétiques de se réapproprier leur maladie et de mieux vivre avec.

De façon générale, il est important de retenir que :

  1. L’activité physique et l’adaptation du régime alimentaire constituent la base de la prise en charge du diabète de type 2.
  2. Si celles-ci sont prescrites par les médecins, les informations qu’ils délivrent lors du diagnostic du diabète sont souvent trop partielles pour permettre aux personnes diabétiques d’adopter les attitudes recommandées.

Les examens de suivi

Outre les traitements médicamenteux et non médicamenteux associés au diabète de type 2 ainsi que l’auto surveillance glycémique, plusieurs examens de « contrôle » doivent être réalisés8. L’Assurance Maladie recommande ainsi aux personnes diabétiques de faire :

  • Au moins tous les 6 mois : le dosage de l’hémoglobine glyquée (HbA1C)
  • Au moins tous les 12 mois : un bilan rénal comprenant un examen sanguin et urinaire ; un électrocardiogramme (ECG) ; un examen bucco-dentaire ; un bilan lipidique & un examen des pieds
  • Au moins tous les 24 mois : un examen du fond de l’œil.

Si le dosage de l’HbA1C, le bilan lipidique et une partie du bilan rénal sont relativement faciles à réaliser (il s’agit d’une prise de sang), les autres examens de suivi nécessitent une véritable organisation et surtout beaucoup de persévérance. Il est parfois difficile de joindre avec succès un secrétariat médical, puis de trouver un professionnel de santé disponible et surtout de planifier un rendez-vous qui aura lieu des semaines, voire des mois plus tard.

M.F. : « Le plus compliqué c’est qu’il faut quasiment que je prenne rendez-vous un an avant. Ça honnêtement c’est quand même quelque chose d’extrêmement lourd à gérer sur un agenda, même de retraité ».

À cela s’ajoutent les contraintes de déplacement, en particulier pour les personnes âgées et éloignées des centres de soins.

Mme Y : « Puis je trouve ça pénible. Parce qu’un coup il faut aller chez le diabéto, un coup le cardio, on arrête pas. Et puis moi, la voiture j’ai 65 ans, je commence à avoir peur parce que tout est loin. À chaque fois c’est 140 km… »

Ces difficultés participent à l’alourdissement du fardeau de la maladie, c’est-à-dire les contraintes associées au traitement et au suivi du diabète. Ce fardeau est parfois tellement lourd que certaines personnes ne peuvent le porter. Ainsi, la plupart des examens de suivi recommandés ne sont pas réalisés par les personnes diabétiques (Figure 1).

Examens diabète type 2
Figure 1 : Proportion de personnes diabétiques traitées pharmacologiquement ayant bénéficié des examens de suivi recommandés, France entière, 2016

Se décharger du fardeau de la maladie a cependant un coût sanitaire important. L’absence de dosage de l’HbA1C se traduit généralement par une diminution de l’équilibre glycémique favorisant ainsi le développement de complications (telles que la rétinopathie, l’insuffisance rénale et/ou cardiaque, etc.). Ces complications évoluent d’autant moins favorablement que l’absence d’examens de contrôle conduit souvent à un diagnostic « tardif » ce qui constitue une véritable perte de chance pour les personnes diabétiques.

Il est important de retenir que :

  1. La réalisation des examens de contrôle permet d’améliorer l’équilibre glycémique et surtout de prévenir l’apparition de complications du diabète.
  2. En partie à cause des difficultés organisationnelles et des contraintes associées à ces examens, la plupart des personnes atteintes d’un diabète de type 2 ne les réalise pas.

Conclusion

Parmi les nombreuses difficultés rencontrées par les personnes diabétiques type 2 dans leur parcours de soins, trois semblent particulièrement importante.

Il apparaît d’abord que l’orientation du médecin généraliste vers le diabétologue, lorsqu’elle a lieu, est généralement faite dans une situation critique pour les personnes diabétiques. C’est souvent au moment de la rencontre avec le diabétologue, c’est-à-dire lors de leur inclusion dans le système hospitalier, que les personnes diabétiques peuvent bénéficier d’un véritable accompagnement et non d’une simple « prescription » de l’adaptation du régime alimentaire et de l’activité physique. La HAS reconnaît pourtant que ces adaptations sont particulièrement importantes au début du parcours de soins. Enfin, il apparaît que la réalisation des examens de suivi, particulièrement importants pour la prévention et le diagnostic précoce des complications associées au diabète est complexe pour les personnes diabétiques. Il en résulte que la majorité d’entre elles ne les réalise pas, en particulier ceux qui nécessitent la consultation d’un spécialiste (cardiologue, ophtalmologue, dentiste, etc.).

Plus largement cette étude suggère que le parcours de soins tel qu’il semble aujourd’hui pratiqué privilégie la prise en charge des personnes à un stade « avancé » de leur maladie, plutôt que de prévenir une évolution défavorable du diabète. Dans le modèle actuel, il paraît important de repositionner la place de l’accompagnement vers l’activité physique adaptée et la nutrition dans le parcours de soins et de faciliter l’organisation des examens de suivi pour les personnes atteintes de diabète de type 2.

Bibliographie

  1. Mandereau-Bruno, L. Prévalence du diabète traité pharmacologiquement (tous types) en France en 2015. Disparités territoriales et socio-économiques (*). feuillets de Biologie 6 (2018).
  2. Santé Publique France. Prévalence et incidence du diabète. (2019).
  3. CNAM. Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses – Propositions de l’Assurance Maladie pour 2018.
  4. Cannon, A., Handelsman, Y., Heile, M. & Shannon, M. Burden of Illness in Type 2 Diabetes Mellitus. J Manag Care Spec Pharm 24, S5–S13 (2018).
  5. Ministère de la Santé et des Solidarités. L’organisation des parcours de soins, de santé, de vie. Agence Régionale de Santé (2021).
  6. HAS. Guide parcours de soins Diabète de type 2 de l’adulte. 71 (2014).
  7. Santé Publique France. Étude Entred (Échantillon National Témoin Représentatif des Personnes Diabétiques).  (2007).
  8. L’assurance Maladie. Surveillance du diabète : les fondamentaux.  (2021).