Vous avez découvert il y a quelques semaines l’interview de Marie Barroyer, doctorante en sociologie au sein du Diabète LAB depuis octobre. Dans l’idée de poursuivre les présentations des travaux de recherche des membres du Diabète LAB, voici l’interview de Coline Hehn, psychologue de la santé à la Fédération Française des Diabétiques et de son Diabète LAB, et depuis début mars docteure en psychologie de la santé. Prenons le temps de découvre sa recherche de thèse intitulée « DiabACT : impact d’une intervention en ligne étayée par la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement (ACT) sur la flexibilité psychologique de patients vivant avec un diabète ».
Peux-tu nous expliquer en quelques mots l’objectif principal de ta thèse et ce qui t’a motivée à choisir ce sujet ?
Ma thèse porte sur la thérapie d’Acceptation et d’Engagement, ou Acceptance and Commitment Therapy (ACT) en anglais, qui est une psychothérapie issue de la troisième vague des thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Les TCC, pour aller au plus simple, sont des approches thérapeutiques basées sur des principes scientifiques visant à modifier les pensées et les comportements dysfonctionnels pour favoriser le bien-être psychologique. Elles reposent sur l’idée que nos pensées influencent nos émotions et nos actions, et qu’en modifiant ces schémas, il est possible d’améliorer la qualité de vie des patients.
La thérapie ACT se base sur le concept de flexibilité psychologique, c’est-à-dire la capacité à être présent, ouvert et à agir selon ses valeurs, même en présence de pensées ou d’émotions difficiles. Contrairement aux approches cherchant à éliminer ou corriger des symptômes, la thérapie ACT vise à aider les personnes à vivre de manière plus intense en modifiant leur relation avec leurs sensations, émotions et cognitions.
Ainsi, l’objectif principal de la thèse était d’améliorer la qualité de vie et la flexibilité psychologique, d’offrir aux personnes vivant avec un diabète de découvrir la thérapie ACT sous un angle digital, pendant six semaines, avec des vidéos d’experts trois fois par semaine, et voir ce que cela pouvait donner comme résultats. La flexibilité psychologique a d’ores et déjà démontré son efficacité pour le diabète, et il nous a semblé important de poursuivre les travaux dans ce sens afin d’offrir une boîte à outils pour les participants de l’étude DiabACT dans un premier temps et dans un second temps à l’ensemble des personnes vivant avec un diabète.
Ce sujet m’a attiré car il répond à un manquement dans la prise en charge psychologique des personnes atteintes d’un diabète, notamment en termes d’outils concrets pour favoriser leur autonomie et leur bien-être. Il s’inscrit aussi dans une volonté d’articuler recherche et terrain, en collaborant avec la Fédération Française des Diabétiques et le Diabète LAB ainsi que mon université (Université de Lorraine – Metz).
Quels aspects des diabètes explores-tu plus précisément dans tes recherches ?
Dans le cadre de mes travaux de thèse, je m’intéresse au vécu et l’impact psychologique au quotidien des diabètes. En effet, vivre avec cette pathologie tous les jours, que cela soit pour le diabète de type 1 ou de type 2, est quelque chose qui peut être prenant et éreintant et donc entraîner une charge mentale importante, en fonction des personnes. L’objectif ici était donc de permettre aux personnes vivant avec un diabète de pouvoir souffler et de pouvoir découvrir à travers des capsules vidéo réalisées par des experts de la thérapie ACT de nouveaux angles pour vivre au mieux avec son diabète et améliorer leur qualité de vie.
En quoi ton approche apporte-t-elle un nouvel éclairage sur la gestion des diabètes au quotidien ?
Mon approche psychologique et psychothérapeutique, innovante pour la Fédération et pour le Diabète LAB, permet de mettre en valeur la capacité des personnes ayant un diabète à vivre au quotidien avec la pathologie. Contrairement aux approches purement médicales ou éducatives, DiabACT utilise la thérapie ACT pour aider les patients à développer une plus grande tolérance à l’incertitude, mieux gérer leurs émotions et renforcer leur motivation intrinsèque (c’est-à-dire venant d’eux même et non contraint par un élément externe comme une punition). En combinant la recherche académique avec l’expérience du terrain, via le Diabète LAB, ce travail permet d’adapter l’outil aux besoins concrets des patients. Ainsi, ces personnes ont désormais des clés en main pour pouvoir s’adapter à la maladie au quotidien. L’être humain est rempli de ressources, il suffit seulement de donner au coup de pouce.
Quels sont, selon toi, les principaux défis psychologiques rencontrés par les personnes ?
Le premier défi que j’aurai en tête est celui de la stigmatisation. Encore aujourd’hui, l’aspect psy, que cela soit avec les psychologues, psychothérapeutes ou psychiatres (vous pouvez retrouver l’article du Diabète LAB sur la différence entre ces métiers ici), est encore mal accepté et perçu. Pourtant, l’anxiété et la dépression sont très fréquents chez les personnes vivant avec un diabète. Il faut donc accepter de suivre une intervention de psychothérapie en ligne, pendant six semaines. Ensuite le second défi est de réussir à mettre de la distance avec son diabète pour se concentrer sur soi-même, ses besoins et ses objectifs personnels. Le troisième défi est celui de la charge mentale liée à la gestion de la maladie, avec des prises de décisions constantes (suivi glycémique, alimentation, dispositifs médicaux, traitements). La thérapie ACT permet justement de travailler sur ces aspects, en aidant les patients à développer une flexibilité psychologique et une meilleure acceptation de leur maladie.
Comment tes recherches contribuent-elles aux réflexions et aux actions menées autour de l’accompagnement des personnes vivant avec un diabète ?
L’accompagnement est un sujet particulièrement pertinent pour la Fédération Française des Diabétiques qui a pour mission d’être présente de par ses actions pour les personnes vivant avec un diabète. Ainsi, en proposant une approche psychothérapeutique sous format digital, cela permet d’aborder cette thématique sous un nouvel angle, cette fois-ci psychologique. L’accompagnement est ici en ligne, pour permettre une diffusion à un grand nombre de personnes, avec des capsules vidéo, un peu sous le même format que le mouvement Slow Diabète. Nous avons d’ailleurs fait des comparaisons sur plusieurs variables comme l’adhésion thérapeutique ou encore l’acceptation de la maladie entre les personnes ayant suivi l’e-intervention DiabACT et le mouvement Slow Diabète (e-intervention signifie intervention en ligne, pour e-santé).
Ma recherche contribue enfin à ces réflexions en fournissant des données scientifiques sur l’efficacité d’un programme en ligne ACT, un outil concret qui pourrait être utilisé par les associations fédérées et les professionnels de santé pour mieux accompagner les patients et offrir une meilleure compréhension du vécu psychologique des patients.
Quels impacts concrets espères-tu pour les personnes ayant un diabète avec ta thèse ?
L’impact concret que j’espère voir sur du long terme est l’appropriation des outils ACT et de ses bienfaits, ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie des personnes ayant suivi l’e-intervention DiabACT et à l’ensemble des participants qui ont reçu à la fin de l’étude les capsules vidéo. En effet, de nombreuses clés sont disponibles et une boîte à outils a finalement été élaboré pour les participants de l’étude afin d’avoir une meilleure flexibilité psychologique et de ce fait une meilleure qualité de vie. Le bien être psychologique des participants est mon objectif principal, tout comme le fait de renforcer l’autonomie des participants. J’aimerais également, à mon échelle, contribuer à l’évolution des recommandations en diabétologie en intégrant davantage la dimension psychologique dans les stratégies d’accompagnement. Après tout, même si le diabète touche plus de quatre millions de personnes en France, qui vous dit qu’une chercheuse téméraire n’en ferait pas tout autant ?
Maintenant que tu es arrivée à la fin de ton doctorat, comment envisages-tu la suite ?
Il est coutume pour les doctorants devenus docteurs de partir faire ce qu’on appelle un post-doc. Un post doc est une période où le nouveau docteur part pendant un ou deux ans faire une nouvelle recherche dans une autre université que celle où il a fait sa thèse, généralement à l’étranger, pour découvrir de nouvelles façons de travailler et d’envisager la recherche. Pour ma part, je compte rester à la Fédération Française des Diabétiques et au Diabète LAB pour le moment car les missions et les études menées me plaisent. Je pourrais ainsi continuer de travailler sur le projet DiabACT en le développant, en créant des adaptations à d’autres contextes et de le valider sur le long terme. Par ailleurs, il y a de plus en plus de projets à la Fédération concernant la santé mentale, je pense notamment au dossier sur les troubles des conduites alimentaires que vous pouvez retrouver sur le site Grand Public de la Fédération. Ainsi, je retrouve les bases de mon métier de psychologue clinicienne et cela a pour conséquence de m’aider à m’épanouir au maximum.
Qu’est-ce que la Fédération et le Diabète LAB ont pu t’apporter ?
La Fédération a été d’un énorme soutien pour ma thèse, que cela soit d’un point logistique et humain. Pendant trois ans et demi, l’ensemble des salariés et les bénévoles des associations fédérées ont pu suivre mes aventures doctorales et m’offrir leur soutien. Le Diabète LAB m’a apporté la rigueur scientifique, l’exigence de la recherche et la curiosité, et j’aimerais saluer toutes les personnes qui sont passées par cette entité de recherche : Nicolas Naïditch, ancien responsable du Diabète LAB, Arnaud Bubeck, responsable actuel du Diabète LAB, Coline Pascal, responsable communication et Marie Barroyer que vous avez déjà eu l’occasion de découvrir à travers son interview, doctorante en sociologie. La recherche est un monde bien trop souvent isolé, où les chercheurs ont peu de contact avec leurs pairs, mais faire ma thèse au sein du Diabète LAB m’a permis au contraire de m’épanouir et de trouver du soutien. Enfin, faire mon doctorat au sein de la Fédération m’a permis d’aller à de nombreux congrès pour pouvoir présenter mes travaux et ainsi rencontrer des chercheurs du domaine, que cela soit dans les pays francophones mais également au niveau européen. Ces rencontres ont mené à de belles collaborations que j’espère continuer à avoir sur du long terme. Également, la Fédération et le Diabète LAB m’ont permis une immersion dans le terrain, en lien direct avec les personnes vivant avec un diabète et leurs problématiques réelles, d’avoir un cadre de recherche appliquée alliant sciences humaines et le monde associatif, et enfin, d’avoir une équipe interdisciplinaire pour l’élaboration et la mise en place du programme DiabACT que je remercie chaleureusement.
Un petit mot de la fin : un conseil pour ceux qui commencent un doctorat ou une réflexion personnelle sur ton expérience ?
Le doctorat est un chapitre de vie enrichissant sur tellement de points de vue que je ne pourrais que conseiller d’en faire un. Toutefois, il faut avoir conscience que c’est un chapitre difficile, avec beaucoup de remises en question, des doutes et des périodes plus complexes que d’autres. Mais cela reste un merveilleux moyen d’appréhender la recherche et de pouvoir voir mûrir sa réflexion scientifique et de développer son sens critique. Il est nécessaire de ne pas s’isoler durant cette aventure longue et intense, d’être flexible et de savoir s’adapter, d’oser explorer au-delà de l’académique et garder en tête l’impact concret de ses recherches pour ne pas perdre de vue la finalité de son travail. Faire un doctorat est quelque chose de fort et puissant, riche et stimulant. Je ne regrette en aucun cas de l’avoir fait au sein du Diabète LAB et de la Fédération car j’ai été bien accompagnée, également par mes directrices de thèse, et cela m’a permis de découvrir le monde professionnel par la même occasion. J’aime beaucoup dire que la clinique sans la recherche n’est rien, tout comme la recherche n’est rien sans les apports de la clinique. Et cela s’est vérifié au cours de mon doctorat.
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