Quels vécus ont les patients et leurs proches des hypoglycémies sévères ? Aussi appelées hypoglycémies profondes, elles peuvent se manifester sous la forme d’une perte de conscience, d’un coma, de convulsions ou l’impossibilité de déglutir. Il existe un risque d’hypoglycémie principalement chez les personnes traitées par insuline et celles traitées par sulfamides hypoglycémiants. Cette étude qualitative a recueilli les témoignages de 9 patients et 3 proches. Son objectif était d’investiguer :

  • Les perceptions des hypoglycémies sévères par les patients et leurs proches,
  • L’impact physique, mental, social qu’elles peuvent avoir, 
  • Les pratiques et stratégies de prévention et traitement,
  • La place du glucagon dans l’expérience des hypoglycémies sévères,
  • Les attentes et les besoins non comblés.

Voici une synthèse des résultats. 

Qui sont les répondants ?

Parmi eux, 4 femmes et 5 hommes, qui ont entre moins de 40 ans et plus de 61 ans. Six d’entre eux ont un traitement par pompe à insuline et trois d’entre eux par multi-injections. Deux des participants sont célibataires, quatre sont en couple sans enfant, et trois sont en couple avec enfant(s). Enfin l’ancienneté du diabète date de moins de 10 ans à plus de 31 ans.

Résultats

 Les perceptions des hypoglycémies sévères par les patients et leurs proches

Les hypoglycémies sévères  sont entendues comme une aggravation d’une hypoglycémie qui s’exprime par la perte de contrôle (physique et cognitive) et l’incapacité à se resucrer pouvant aller jusqu’au coma diabétique. Les patients et les proches ont une compréhension limitée du mécanisme de cette aggravation.

Contrairement à d’autres pans de leur expérience (ex: le contrôle de la glycémie, la gestion des injections), les patients qui se sentent acteurs de leur prise en charge sont relativement désarmés face aux hypoglycémies sévères. Pas uniquement à cause des symptômes qui altèrent leur capacité, mais aussi parce qu’ils ont peu de prise sur les facteurs. Les proches sont encore plus désarmés face à la compréhension du processus.

Or, l’interaction avec les professionnels de santé ne résout pas cette tension, voire elle l’aggrave lorsque les patients reçoivent des discours culpabilisants. Les patients sont positionnés comme en partie responsables de la survenue des hypoglycémies sévères, sans que leur niveau d’information ne leur permette d’assumer cette responsabilité.

« On n’est plus maître de son corps ni de son esprit. On peut comparer ça avec l’alcool, l’hypo toute simple c’est comme être pompette avec un ou deux verres, la sévère c’est le blackout total où on ne se souvient plus. » Personne atteinte de diabète

L’impact sur la qualité de vie et la charge mentale selon différents profils 

Pour les plus impliqués dans leur prise en charge : il y a une mise à distance des hypoglycémies sévères malgré les symptômes et l’impact physique, car ils bénéficient d’un sentiment de contrôle vis-à-vis de la maladie sur le long terme, accru grâce aux outils technologiques de suivi.

Pour ceux qui souhaitent mettre à distance la maladie : la charge mentale est allégée car la gestion de l’hypoglycémie sévère est le seul moment où ils ne sont objectivement plus en mesure de contrôler leur diabète en raison de la perte des capacités physiques et cognitives.

Pour les personnes diabétiques diagnostiquées plus récemment et/ou qui ne se sentent pas dans une posture de contrôle vis-à-vis de la maladie : les hypoglycémies sévères incarnent un sentiment de manque de maîtrise et peut entacher l’estime de soi.

La fréquence des hypoglycémies sévères est évidemment un élément déterminant dans l’ampleur de l’impact sur la qualité de vie. Notamment sur la dimension des activités quotidiennes et des relations sociales.

Pour les patients et encore plus pour les proches : l’hypoglycémie sévère agit comme un catalyseur des peurs associées au diabète (le traitement par injection, la stigmatisation/gêne sociale, le caractère insidieux du diabète, les complications et la mort prématurée).

Pour les proches : l’hypoglycémie sévère a un impact à court et long termes parce qu’elle peut bouleverser la relation avec le proche atteint de diabète et sa vision de la maladie (d’une maladie chronique invisible à une maladie pouvant entraîner des complications graves et spectaculaires).

Au niveau relationnel, cela peut apparaitre comme un épisode qui révèle les tensions non dites autour de la maladie. L’impact relationnel peut se traduire par la volonté de limiter l’implication des proches dans la gestion de l’hypoglycémie sévère.

« Avant c’était mon diabète mon problème, je disais ah ouais c’est  moi qui gère, lui mon compagnon n’a pas à gérer ce type de situation. Je suis contente d’avoir appris cette leçon là avec cette hypoglycémie, prendre conscience que le diabète ça impacte les gens autour de moi . Ça aurait pu venir plus tard. » Personne atteinte de diabète

Les pratiques et stratégies de prévention et traitement

Le sur-sucrage et le sous dosage sont les pratiques d’évitement de l’aggravation des hypoglycémies sévères. Les stratégies varient en fonction du contexte (co-présence, moment et lieu). En revanche, les stratégies varient peu en fonction du profil et du type de diabète.

Les personnes diabétiques interrogées ne se sentent pas en charge de la résolution de l’hypoglycémie sévère. Cependant, pour la majeure partie d’entre eux, elles n’ont pas pour pratique de déléguer cette résolution auprès des proches. Elles ont une posture d’attente et le principal relai est médical : les secours (pompiers ou SAMU).

Les proches ont peu de solutions pour le faire hormis la tentative de resucrage et l’appel au secours. En ce sens, la définition de la « bonne conduite à tenir » converge avec celle des patients.

Le glucagon est au cœur de la stratégie de prise en charge « théorique » mais cette étape n’est que rarement mise en œuvre, à cause de freins multiples (Cf. partie 5) et surtout faute de formation des proches.

« Vous vous mettez en sécurité en vous mettant à 2,5gr. Se mettre en sécurité, c’est de ne pas à avoir à gérer la gêne de l’hypo qui s’aggrave même si on le paye plus tard. » Personne atteinte de diabète

La place du glucagon dans l’expérience des hypoglycémies sévères

L’usage du glucagon est marqué par un paradoxe entre un stockage et un renouvellement systématique à péremption, et une administration très rare.

Ainsi, patients et proches se trouvent dans une situation de dissonance entre :

  • d’une part l’accessibilité d’un moyen jugé efficace et recommandé,
  • d’autre part des freins pratiques et cognitifs qui empêchent le recours à cette solution.

En effet, le geste demande un apprentissage que les proches reçoivent peu et une dextérité dont les personnes diabétiques ne sont pas capables lorsqu’ils souffrent d’une hypoglycémie sévère. Le glucagon est identifié comme l’unique traitement médicamenteux de l’hypoglycémie sévère. Cependant, le mode d’administration (et dans une moindre mesure le stockage) sont des freins majeurs – et pour certains indépassables – à son administration.

« Le glucagon, en 40 ans de diabète, je l’ai jamais utilisé ! » Personne diabétique

« Il est dans le frigo. C’est moi qui le gère, elle a tendance à ne pas regarder les dates, vue qu’on ne utilise pas souvent. » Proche de personne atteinte de diabète

Les attentes et les besoins non comblés

Pour les patients interrogés, l’enjeu est de définir de bonnes pratiques de prévention et un parcours clair pédagogique pour sortir de la logique de l’improvisation et de la dépendance aux secours.

Pour les patients, les proches et les professionnels de santé ils attendent :

  • La simplification du mode d’administration du glucagon afin de faciliter la prise en charge en évitant l’hospitalisation et en rendant plus plausible l’intervention d’un proche et en permettant d’envisager l’intervention d’autres acteurs (par exemple les collègues ou les enseignants),
  • L’assouplissement de la contrainte du stockage au frais afin d’être en mesure de l’administrer même en contexte de mobilité.

Par et pour les proches, les personnes interrogées souhaiteraient : 

  • Qu’ils soient mieux informés sur les causes des hypoglycémies sévères afin qu’elles ne soient pas interprétées uniquement comme la conséquence d’une erreur des patients,
  • Lorsque le proche est considéré comme un aidant investi dans la prise en charge (en mineur), former à l’usage du glucagon (réduire les peurs et favoriser la dextérité).

Vis à vis des professionnels de santé, les personnes interrogées souhaiteraient : 

  • Une information pédagogique et un partenariat patient-médecin pour comprendre les causes des hypo. sévères,
  • Des discours responsabilisants plutôt qu’alarmistes/culpabilisateurs,
  • Que les patients soient moins stigmatisés quant aux hypoglycémies sévères.

« S’il y a des formations aux injections de glucagon pour l’entourage des diabétiques, il me semblerait tout aussi intéressant d’y enseigner la détection des hypos, l’utilisation d’un lecteur de glycémie, etc. » (Extrait de forum de discussion.)

Conclusion

L’hypoglycémie « grave » est perçue comme un stade de l’hypoglycémie où la personne diabétique perd le contrôle de son resucrage. Elle est vécue comme un évènement marquant qui rend visible la maladie et y confronte directement le proche, alors qu’au quotidien la personne diabétique se sent responsable de l’équilibre de son diabète, jusqu’à mettre à distance le proche de sa gestion.
L’impact est d’avantage relationnel et dans le rapport de la personne diabétique avec la maladie. L’hypoglycémie sévère peut raviver les tensions et peurs qui sont occultées au quotidien, notamment dans les couples. La personne diabétique se rend compte aussi qu’elle n’est pas seule à subir les impacts du diabète, ce qui bouscule ses représentations de la maladie vécue de manière très individuelle.

Les patients et les proches adoptent ainsi des stratégies assez « rudimentaires » telles que l’observation de l’évolution des symptômes, le resucrage, l’attente et l’appel au secours. Or, le parcours du patient diabétique, sa formation à la gestion quotidienne de son traitement lui confèreraient les moyens de s’impliquer davantage dans la prise en charge des hypoglycémies sévères, si un mode d’administration simplifié du glucagon était proposé.

Même si la question des modes d’administration alternatifs n’a pas directement été abordée pendant les entretiens, cette piste permettrait de lever des freins considérables face à l’intervention d’un tiers dans la gestion des hypoglycémies sévères. Ainsi, le « glucagon nasal » pourrait faciliter l’intervention des secours (pas toujours formés selon les patients), rassurer les proches (notamment les parents d’enfants qui s’expriment beaucoup sur les réseaux sociaux à ce sujet) et favoriser l’implication d’autres acteurs (les enseignants par exemple). Cette simplification est également un enjeu pour les proches.

Le cas des hypoglycémies sévères illustre le fait que, dans le cas du diabète, le rôle d’aidant reste à construire. Or, la prise en charge des hypoglycémies sévères, et plus particulièrement l’administration du glucagon, repose sur l’identification du proche comme un aidant à la fois compétent et reconnu.

Consultez les résultats de l’étude sur les traitements du diabète en 2020

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