L’accompagnement par les pairs est une thématique importante au sein de la Fédération. Or, jusqu’à présent, aucune étude n’avait été réalisée pour faire le bilan de cet accompagnement, ses forces et ses faiblesses. C’est dans ce contexte que nous vous proposons aujourd’hui de vous immerger dans cette étude qui s’intéresse à l’accompagnement proposé par la FFD.

Le diabète est une maladie qui progresse chaque jour, en France et dans le monde. Le nombre de personnes atteintes ne cesse d’augmenter, et les besoins sont croissants en termes de soins, de soutien et d’accompagnement. Les Associations Fédérées (AF) par la Fédération Française des Diabétiques (FFD) proposent un accompagnement par les pairs pour les personnes atteintes de diabète sous forme de 3 programmes : l’Élan Solidaire, les Cafés Diabète et la ligne d’Écoute Solidaire.

Pour en savoir davantage sur les programmes d’accompagnement à la Fédération, cliquez ici.

Partout sur le territoire français, des actions se mettent en place dans le but d’aider les personnes à mieux vivre avec leur maladie. L’accompagnement par les pairs est ainsi une thématique importante pour la FFD et c’est pour cette raison que nous avons souhaité nous attarder lors de cette étude sur ses bénéfices pour les personnes concernées par un diabète, et les Bénévoles Patients Experts (BPE), mais aussi ce qui pourrait être amélioré pour les futures personnes accompagnées.

Cette étude mixte a été menée lors du second semestre 2024 et premier semestre 2025, à travers différentes étapes. Nous avons réalisé 3 discussions de groupes dans 3 associations locales (dans le nord, le sud et l’est de la France) afin de discuter de ces sujets, avec à chaque fois une dizaine de participants. Nous avons également identifié 8 acteurs clés de l’écosystème de l’accompagnement à la FFD (président d’associations locales, ancien président de la FFD, BPE) pour réaliser des entretiens semi-directifs. De plus, nous avons analysé des questionnaires de satisfaction du programme « Élan Solidaire » sur la période de 2013 à 2023. Les résultats mettent en avant la richesse des échanges dans un cadre associatif, et qui permettent entre autres de parler autrement du diabète, pour mettre des mots qui font sens pour les personnes accompagnées.

Parler autrement du diabète, un enjeu central de l’accompagnement entre pairs

Le discours sur le diabète est extrêmement marqué par le regard médical sur le sujet. Il est toujours question de glycémie, de traitements, de complications, de risques, etc. Tous ces éléments sont bien sûr essentiels, et il ne s’agit pas de les occulter. Mais lorsque les personnes vivant avec un diabète s’emparent de ce sujet et en parlent entre eux avec leurs propres mots, de nouvelles possibilités et de nouveaux termes apparaissent. Il devient alors question de colère, d’ « emmerdements », de l’entourage, des « conneries » qu’on a pu faire, de la charge mentale, du fardeau de la maladie, des chemins de vie, de sexualité, de la sérénité à retrouver, etc. Les mots pour parler du diabète changent également, avec l’usage d’analogies et de métaphores, et certains le perçoivent comme un allié, comme une force, ou d’autres comme un ennemi.

Le diabète dans le monde médical vu par les patients

VS Le diabète vu par les patients

En sommes, il est question de la vie avec la maladie, mais d’abord et surtout de la vie, comme l’a évoqué une BPE :

« Parce que moi, quand on me dit « Oh, je viens au groupe, mais j’ai peur que ça me déprime parce qu’on va parler de maladie ». Alors moi je leur dis tout le temps, mais personne ne parle de maladie. Dans nos groupes, on ne parle que de la vie. Avec la maladie, d’accord, mais de la vie » BPE, présidente d’une association locale

Le fait de se réunir entre personnes atteintes de diabète ne signifie donc pas que les discussions vont uniquement tourner autour du diabète, bien au contraire. Dans les discussions et les échanges au sein des programmes d’accompagnement, il est d’abord question du quotidien des personnes concernées, pour retrouver une qualité de vie qui soit conciliable avec la maladie.

Parler autrement du diabète implique d’abord de sortir d’un discours uniquement médical sur le sujet, où il est très souvent question de courbes, de chiffres, de médicaments ou de résultats d’analyses. Ces sujets, bien qu’essentiels, ne permettent pas forcément de s’approprier ce qui se joue dans le corps, dans l’intimité, et dans le quotidien des personnes concernées. Mais pour parler autrement du diabète, il faut les mots pour le faire, et de nombreux termes surprenants, émouvants ou comiques ont été utilisés dans ce but.

« Mon père qui s’est retrouvé diabétique assez tard d’ailleurs me disait « Bah le diabète c’est un singe » hein. Bon il est sur ton épaule quand tu fais pas trop de bêtises, le singe reste tranquille, mais dès que tu commences à faire des conneries, il frappe quoi. Et ça c’est juste hein, ça c’est juste, il y a un côté danger permanent quoi. » BPE, président d’une association locale

Le fait de présenter le diabète comme « un singe » permet d’appréhender une réalité du vécu avec la maladie, à savoir le danger qu’il représente, mais également la possibilité de vivre en harmonie avec. Cette image simple et évocatrice peut donc servir à illustrer des phénomènes importants, comme le fait de ne pas nier la dangerosité de la maladie, de devoir s’en occuper en permanence, mais également l’espoir et la possibilité de l’apprivoiser. Ainsi, chacun utilise sa métaphore, son image pour parler du diabète, et les mots circulent entre tous pour construire leur sens sur la maladie, comme l’a évoqué une personne rencontrée, qui a été pendant plusieurs années président de la FFD :

« Il faut parler différemment du diabète évidemment. Déjà les gens arrivent avec l’ordonnance. Alors il s’est mis le machin. Non non, on s’en fout. C’est comment vous vivez avec lui ? Quelle est votre métaphore ? C’est quoi pour vous ? (…) C’est de demander aux gens la première des choses, dessinez-moi votre diabète. (…) il faut éduquer aux personnes atteintes de diabète, vous avez les clés, vous les avez, c’est vous qui les avez. Oui. On est là pour s’aider, on s’est entraidé. » Ancien président de la FFD

L’idée qui est ici développée consiste à redonner aux personnes concernées en premier chef la possibilité et le pouvoir de mettre leurs propres mots sur leur vécu. C’est peut-être par-là que commence la véritable appropriation de la maladie, qui permet d’être acteur de sa santé. Cette construction ne peut se faire qu’à partir des références et de la culture propre de la personne, qui peut puiser dans son histoire ce qui fait sens pour elle. Pour construire ce sens, le lien entre personnes atteintes du même trouble s’avère essentiel, pour rencontrer ceux qui sont parvenus à l’apprivoiser.

« Mon diabéto connait mieux le diabète que moi, mais je connais mieux mon diabète que lui. » Ancien président de la FFD

Seule une personne étant passée par des expériences de vie similaires peut guider une autre à construire ce sens pour l’aider à mieux vivre son diabète. En effet, le corps médical dispose du savoir théorique sur le diabète, mais les patients possèdent le savoir expérientiel du vécu avec la maladie. Les personnes rencontrées au cours de cette enquête ont ainsi fait part d’un schéma de vie similaire, où la vie avec le diabète posait un problème, et où une rencontre a permis de construire un sens nouveau sur les événements, souvent à partir d’un mot ou d’une phrase dont la personne se souvient, même si elle a été prononcée il y a des dizaines d’années :

« J’ai vu une petite équipe, ils étaient serrés les uns contre les autres, ils m’ont touché parce que je me suis dit tiens, ils avaient affiché le slogan « Vous n’êtes pas seuls face au diabète ». Et ils avaient affiché les 3 mots clés qui pour moi ont toujours énormément de résonance, l’entraide, le partage, l’engagement. » BPE, présidente d’une association locale

L’enjeu de la construction du sens face à la maladie s’avère ainsi vital et c’est par les rencontres avec d’autres personnes ayant connu les mêmes épreuves qu’un sens nouveau peut se construire.

« En dehors des rencontres, les liens perdurent. Il y a des cercles qui se créent et des cercles d’amitié profonde qui vont bien au-delà du simple partage du vécu, du diabète. C’est une sorte de comment dire, de lien solidaire, pour ne pas dire fraternel, qui se crée au travers de ces rencontres, au travers de ces entretiens. Et puis il y a la confiance qui s’installe avec l’absolue certitude que tout ce qu’on partage ne sera pas dévoyé. (…) c’est en fraternité de souffrance et de connaissance de la maladie que l’on se retrouve. » BPE, présidente d’une association locale

Les multiples apports de l’accompagnement

L’accompagnement par les pairs va bien au-delà de cet enjeu de trouver les bons mots pour parler du diabète, et touche à de multiples impacts sur les dimensions du rapport aux traitements (médicamenteux et non médicamenteux), au lien social, au bien-être, ou encore à la recherche d’information de qualité et fiable. La place de l’activité physique a été souvent décrite comme étant un élément important, et qui a toute sa place dans le cadre d’une dynamique associative. Les personnes interrogées parlent d’un aspect déterminant de l’accompagnement, qui ouvre à plusieurs perspectives, notamment pour renforcer le lien entre les participants, parler de différents sujets et découvrir des espaces proches de chez soi.

« Lors de ces marches actives, on a noté quelque chose très tôt. C’est un phénomène de collectif qui arrivait. Les gens copinent, ils discutent. Et le groupe de marche est devenu un groupe de parole. (…) Il y a des gens qui sont là depuis x années, bah ils sont jamais allés à la commune d’à côté. Donc en même temps je vais faire du tourisme pas loin (…) dans le groupe de marche, tu as là-dedans 60% de diabétiques, 40% de proches. » BPE, président d’une association locale

Le fait de réaliser une activité physique en groupe dans un cadre associatif permet aux personnes participantes de créer des liens, qui favorisent la discussion et l’échange. L’activité physique n’est donc pas ici une fin en soi, mais peut devenir l’occasion de se retrouver pour discuter, rencontrer de nouvelles personnes ou des amis. De plus, d’autres opportunités apparaissent comme le fait de découvrir des espaces urbains ou naturels proches de chez soi. Du fait de sa nature d’activité favorable à tous, l’activité physique offre également une place et une légitimité aux proches pour venir, et éventuellement discuter de la maladie, ce qui n’est pas toujours évident car le sujet est parfois tabou.

Un autre apport essentiel concerne la gestion des traitements et des dispositifs médicaux. En effet, de nombreuses connaissances sont nécessaires pour savoir utiliser et gérer au quotidien les dispositifs comme les pompes à insuline ou les capteurs de glucose en continu, et l’expertise d’autrui ayant l’expérience et la connaissance de ce type d’appareil peut-être d’une aide précieuse. De plus, le simple fait de découvrir qu’une autre personne a bénéficié d’un traitement ou d’une aide peut donner envie d’essayer :

« Je sais que de discuter insulinothérapie fonctionnelle ben ça m’a donné envie de le faire au départ. Après discuter pompe à insuline ça m’a envie de passer sous pompe, discuter capteur, ça m’a donné envie. » BPE, président d’une association locale

Les échanges permettent ainsi d’en apprendre davantage sur des dispositifs médicaux ou des traitements, ce qui est rendu possible la découverte de l’expérience d’autrui. Les BPE eux-mêmes, qui ont une longue expérience de vie avec la maladie, peuvent bénéficier de cet apport, puisque la technologie évolue sans cesse et que des innovations arrivent régulièrement. La gestion des effets secondaires de certains traitements est aussi améliorée par l’expérience de ceux qui ont trouvé des « petites astuces », comme le fait d’avoir identifié les bons moments pour les repas au cours de la journée.

D’autres aspects ont également été mentionnés, comme la recherche d’informations qui est facilitée. Dans notre société où nous sommes constamment bombardés d’informations, il est parfois difficile de trouver des sources fiables pour se renseigner sur la maladie, les innovations, et les complications. Les professionnels de santé eux-mêmes peuvent se tromper, et il est parfois nécessaire d’adopter des bons réflexes comme le fait de consulter plusieurs avis, de se renseigner auprès des bonnes personnes, de consulter les sites de la FFD, etc. Le fait de pouvoir discuter en communauté des informations relatives à tous ces sujets permet de croiser les regards, et de faire émerger une forme d’expertise collective basée notamment sur les connaissances et les expériences des membres du groupe. Cet apport est parfois essentiel, dans la capacité à trouver la bonne information qui reste parfois longtemps inaccessible, et de sortir d’une forme d’errance comme cela a été exprimé lors d’un focus group :

« On est en contact avec des professionnels, médecin, ou infirmière, etc. Mais ils ont pas le temps de toute manière. (…) Pour moi il y avait un problème. À quel moment je sais que c’est dangereux pour moi ou pas ? (…) pendant 8 ans où j’étais en espèce d’errance d’information jusqu’à ce que je tombe sur des gens, et ça c’est formidable quoi, l’organisation par des gens qui sont spécialisés dans telle et telle thématique. Bah enfin, on peut poser les bonnes questions et surtout savoir, où on est bon, où on n’est pas. »   Extrait d’un échange en focus group

Un autre apport concernait le fait de pouvoir parler librement des stigmatisations vécues dans des espaces professionnels ou même personnels. La confiance qui s’instaure entre personnes partageant un vécu commun en lien avec une maladie qui peut parfois s’avérer stigmatisante rend possible un espace d’échange qui s’avère parfois essentiel pour déposer un témoignage, un vécu, une parole.

Analyse des questionnaires de satisfaction

Les personnes qui participent à « Élan solidaire » sont invitées à remplir un questionnaire avant et après le programme, notamment pour évaluer leur progression dans leur connaissance du diabète, et pour estimer leur satisfaction. Nous avons épluché les résultats de ces questionnaires sur la période 2013-2023 et voici les résultats. Environ 1000 personnes participent chaque année à ce programme animé par des BPE. L’âge moyen des participants est de 64 ans, avec environ 61% de femmes, et 39% d’hommes, et une majorité de personnes atteintes de diabète de type 2 (entre 70% et 80% selon les années). Un fait notable est la croissance du nombre de proches participants, passant de 2,8% en 2019 à 14% en 2023, traduisant un engagement accru de l’entourage.

Les personnes remplissant les questionnaires sont invitées à noter leur compréhension du diabète et leur capacité à le gérer par un chiffre allant de 1 à 7 avant et après le programme. L’accompagnement favorise une progression significative de la compréhension du diabète et des traitements, passant par exemple de 4.2 à 5.5 en 2019 et de 4.8 à 5.5 en 2023. De même, la capacité à gérer son diabète s’améliore, avec une évolution de 4.3 à 5.4 en 2019 et de 4.7 à 5.5 en 2023.

Les participants soulignent plusieurs bénéfices majeurs. Les chiffres de 2023 montrent par exemple qu’ils affirment à 95% avoir obtenu des réponses à leurs questions sur le diabète, et 91% disent qu’ils ont pu parler librement de leurs difficultés sans se sentir jugés. Les échanges avec d’autres patients leur permettent de s’enrichir de leurs expériences selon 96% des participants, et 94% trouvent des motivations pour mieux gérer leur santé au quotidien. Enfin, 83% des personnes ont pu identifier de nouveaux moyens de gestion de la maladie, et 83% ressentent une meilleure gestion du stress lié au diabète.

Conclusion

Tous ces éléments montrent les apports de l’accompagnement entre pairs, et l’importance de ne pas rester seul face à la maladie. Le diabète est une maladie sournoise, qui demande un travail au quotidien et une attention de tous les instants pour éviter qu’elle s’aggrave. Mais l’expérience de la maladie ouvre aussi une autre perspective, celle de la découverte de sa propre vulnérabilité, qui entre en résonance avec celle d’autres personnes ayant un vécu similaire.

Les expériences de vie avec le diabète sont d’abord des expériences de vie, avec leur lot de souffrance et parfois de tragédie, mais aussi d’espoir, de rencontres et de chemins pour se construire ou se reconstruire malgré les épreuves. Le chemin qu’une personne atteinte de diabète emprunte pour continuer à avancer ne regarde qu’elle. Mais ce chemin peut être parcouru à plusieurs, ne serait-ce que pour un temps, afin que le poids que représente la maladie puisse sembler un peu moins lourd à porter.

Il est réellement possible de porter un autre regard sur le diabète, et cela passe par le fait de redonner la parole aux personnes concernées en premier chef, celles qui sont atteintes de cette maladie et leurs proches. Il parait nécessaire aujourd’hui de donner les ressources et d’accompagner toutes ces personnes en manque de sens pour les aider dans ce cheminement. Cela passe notamment par le fait d’ouvrir des espaces de parole où l’écoute et l’empathie rendent possible le partage et l’écoute des récits de vie.

L’autonomie des personnes concernées par un diabète ne consiste pas à ce qu’elles parviennent à mettre en application toutes les recommandations du corps médical, mais réside dans leur capacité à construire leurs propres chemins de vie avec la maladie. Finalement, l’accompagnement entre pairs ouvre à cette « fraternité de souffrance », qui permet simplement de remettre un peu plus d’humanité dans le vécu avec la maladie.

 

Auteur : Arnaud Bubeck, responsable du Diabète LAB