Le diabète est la première cause de maladie rénale chronique (MRC) terminale dans le monde. En France, il arrive en seconde position juste après l’hypertension artérielle (Réseau, Epidémiologie, Information, Néphrologie, 2019).
Dans le but de pouvoir diagnostiquer une MRC, il est nécessaire de suivre, sur une période de 3 mois, une diminution du débit de filtration glomérulaire (DFG) (DFG < 60ml/min/1,73 m²) ou une augmentation de l’albuminurie (rapport albuminurie créatinine > 30 mg/g). En fonction des valeurs, il est possible de déterminer le grade de la MRC.
Le DFG donne une estimation du volume de plasma sanguin filtré par les reins chaque minute. Un DFG à 100 ml/min ou supérieur est parfaitement normal. S’il est abaissé à 50 ml/min, les reins ne fonctionnent plus qu’à la moitié de leur capacité normale. Plus le DFG est bas et plus l’atteinte rénale est prononcée.
Albuminurie : l’albumine dans les urines. L’albumine est une protéine fabriquée par le foie, mais également apportée par certains aliments, notamment le lait et l’œuf. L’albumine est la principale protéine de transport dans le sang. Elle transporte des substances de petite taille qui, seules, seraient éliminées par les reins, comme des hormones, des enzymes et peut passer dans l’urine lorsque les reins sont endommagés, comme dans le cas d’une maladie rénale chronique.
À partir du stade 5, les reins ne sont plus capables d’assurer leur fonction, il est alors nécessaire de les suppléer par une greffe rénale ou par dialyse (Neindre et al., 2018).
À ce jour, il n’existe pas de traitement permettant de guérir la MRC. La limitation de la dégradation de la fonction rénale passe essentiellement par de la néphroprotection, c’est-à-dire la protection du système rénal. Celle-ci suppose notamment :
- Le contrôle de la pression artérielle ;
- L’adaptation de l’hygiène de vie et notamment la limitation des apports en sel et en protéine ;
- L’ajustement des traitements antidiabétiques oraux, avec le cas échéant le passage à l’insuline.
La MRC est une complication majeure du diabète qui est susceptible de toucher autant les personnes diabétiques de type 1 (DT1) que les personnes diabétiques de type 2 (DT2). Bien que l’étude réalisée par le Diabète LAB porte sur des DT2, une grande partie des résultats semble pouvoir être transposée aux DT1. La MRC peut engendrer d’importants impacts sur la qualité de vie (QdV) des personnes atteintes d’un diabète de type 2 qui en sont atteintes, notamment des répercussions physiques, psychologiques et sociales (Jing et al., 2018). Peu d’études existent à ce jour pour déterminer les conséquences réelles d’une MRC chez une personne DT2.
Afin d’avoir des données plus spécifiques à l’évaluation de l’impact de la MRC sur la QdV des personnes DT2, le Diabète LAB de la Fédération Française des Diabétiques a réalisé une étude qualitative.
Méthodologie
L’enquête qualitative a porté sur vingt personnes dont dix vivant avec un DT2 et une MRC (trois de stade 3B, quatre de stade 4 et trois de stade 5), puis six de leurs aidants familiaux ainsi que quatre professionnels de santé (un médecin généraliste, un diabétologue, un cardiologue et un néphrologue). L’enquête a été réalisée entre février et avril 2021.
L’objectif principal était d’évaluer l’impact de la MRC sur la QdV des personnes DT2 à partir de la vision des professionnels de santé, des personnes DT2 avec une MRC et de leurs proches.
Résultats
Visions des soignants de l’impact de la MRC sur la QdV des personnes DT2
Selon le diabétologue interrogé, il est important de rappeler que la MRC n’est pas nécessairement pathologique. Le DFG décline de façon normale avec l’âge (Netgen, 2004). Or, l’âge moyen de diagnostic du diabète de type 2 étant de 65 ans (INSERM, 2019), il en résulte qu’une proportion importante de patients DT2 est considérée comme étant atteinte d’une MRC, sans pour autant que cela soit « anormal ».
En ce qui concerne les impacts symptomatiques de la MRC sur la QdV, ceux-ci semblent être dans un premier temps limités. Lorsque le grade de MRC est inférieur au stade 3A et 3B, alors elle est considérée comme asymptomatique. Il en résulte que la MRC, à ces stades, ne semble pas avoir de conséquences directes sur la QdV globale des patients DT2. En revanche, elle est susceptible d’avoir des conséquences indirectes sur la QdV mentale des personnes DT2. La dégradation progressive du DFG paraît être une source de stress et d’anxiété et donc engendrer une charge mentale plus importante pour les patients. En effet, à partir des stades 4 et 5, il est possible que la MRC ait des impacts symptomatiques avec des conséquences directes sur la QdV telles que d’importantes douleurs ou une fatigue intense. Les témoignages des professionnels de santé interrogés suggèrent que le principal impact de la MRC sur la QdV des personnes qui en sont atteintes a trait à l’augmentation du fardeau de la maladie qu’elle engendre.
« Il y a le fardeau de la maladie. La surveillance, c’est lourd. Faut multiplier les examens, les consultations, la coordination avec le néphrologue, le cardiologue, le diabétologue éventuellement, le médecin généraliste… Il y a un quotidien qui est envahi par la maladie. » – Médecin généraliste
La charge mentale devient beaucoup plus présente et importante pour les personnes diabétiques atteintes d’une MRC, qu’importe le grade de la pathologie. Le fardeau de la maladie comprend l’enchaînement des rendez-vous médicaux et des examens biologiques, les craintes associées à une évolution défavorable de la MRC qui représentent une véritable épée de Damoclès, mais aussi un quotidien qui change drastiquement avec la mise en place d’un régime alimentaire néphroprotecteur. Toutefois, il arrive que cela ne suffise pas, que les symptômes continuent de se développer au cours du temps et qu’il soit nécessaire de passer à l’étape suivante dans le traitement : la dialyse. Cette dernière semble permettre une limitation de l’impact symptomatique. Elle altère toutefois considérablement la QdV car elle impose des contraintes temporelles et alimentaires comme le diabétologue le suggère ci-dessous :
« Quand les gens sont sous dialyse, l’altération de la qualité de vie est encore plus. Ils vont avoir 3 séances par semaine. Avec une diététique très précise, des boissons… » – Diabétologue
Pour conclure, pour les professionnels de la santé, la QdV des patients DT2 avec une MRC est surtout impactée par la charge mentale liée aux pensées intrusives relatives à l’évolution de la maladie et la prise en charge des symptômes.
Retours des personnes DT2 sur l’impact de la MRC sur leur QdV
Dix personnes DT2 avec MRC ont été interrogées. Leur âge moyen était de 65 ans. L’échantillon était constitué de 4 femmes et de 6 hommes. Trois personnes avaient une MRC de stade 3A ou 3B, trois personnes une MRC de stade 4 et quatre personnes une MRC de stade 5, dont trois étaient traitées par dialyse.
Les retours des patients DT2 avec MRC interrogés concernant les impacts symptomatiques de la MRC sur la QdV sont similaires à ceux des médecins. Les personnes atteintes d’une MRC de stade 3A, 3B voire 4 ne font pas mention d’impacts symptomatiques de la MRC, c’est-à-dire directs, sur leur QdV.
« Moi à part les résultats d’analyse que je découvre quand je vais au laboratoire. Pour l’instant, ça ne me dérange absolument pas, j’ai aucun symptôme. Sauf que j’ai toujours la trouille qu’un jour ça s’aggrave et qu’on me dise « faut passer à la dialyse ». » – Mme S, stade 3B
Avec le témoignage de Mme S, nous pouvons retrouver les pensées intrusives et angoissantes générées par une évolution défavorable de la MRC qui engendrerait un traitement par dialyse. Par ailleurs, les contraintes alimentaires associées à la néphroprotection sont citées comme sources majeures d’altération de la QdV. La constitution de repas adaptés à la MRC (sans sel et pauvre en protéine) et au diabète (avec une limitation des glucides) peut être véritablement problématique, en particulier lorsque les personnes DT2 avec une MRC ne sont pas suivies par un diététicien ou un nutritionniste (comme c’est vraisemblablement souvent le cas).
Enfin, les conséquences symptomatiques de la MRC sont décrites par M. A :
« Quand vous avez un débit qui est supérieur à 20, vous avez quelques symptômes, mais ça ne vous empêche pas d’avoir une vie tout à fait normale. Vous avez des médicaments, la tension, des médicaments pour le phosphore, le potassium. C’est les trois trucs. Voilà ce qu’il y a sur l’ordonnance. Entre 20 et 10, les symptômes sont plus importants, mais il continue à vivre (le rein). Il a un peu plus froid, il est faible, il est fragile. À 10, il survit, mais il peut tenir. Par contre il faut maîtriser la tension. Mais c’est cette période où la qualité de vie est affectée. Puis quand on dialyse, il faut attendre 2-3 semaines pour récupérer. Et puis après on retrouve une vie à peu près normale, sauf qu’on retrouve les contraintes de la dialyse. » – M. A, Dialyse, Greffé depuis 30 ans.
Comme cela est souligné dans le témoignage de M. A, les véritables symptômes de la MRC impactant la QdV semblent se manifester lorsque le DFG est inférieur à 10-20 ml/min/1,73 m². Ceux-ci peuvent alors s’exprimer sous forme de fatigue et d’intenses douleurs qui affectent considérablement la QdV. Toutefois, c’est aussi généralement à ce stade que la dialyse peut être proposée. Celle-ci permet vraisemblablement de limiter, voire de supprimer ces symptômes, au bout de quelques semaines.
Ainsi, la QdV d’un patient DT2 atteint d’une MRC est impactée par une charge mentale liée à l’évolution de la maladie, sa prise en charge et ses conséquences au quotidien comme un régime spécifique et pour certaines personnes, les symptômes associés.
Retours de l’entourage sur l’impact de la MRC sur la QdV
Six conjoints de personnes DT2 avec MRC ont été interrogés, dont cinq femmes et un homme. Trois des conjoints étaient atteints d’une MRC de stade 4 et trois d’une MRC de stade 5 (un non dialysé et deux sous dialyse).
Si la plupart des conjoints interrogés fait mention des contraintes associées au régime alimentaire sans sel et pauvre en protéine, c’est le côté « inéluctable » de la dégradation de la fonction rénale qui paraît, dans un premier temps, les affecter le plus. En effet la néphroprotection, parce qu’elle n’est pas curative, n’est généralement pas considérée comme un traitement de la MRC. Il peut en résulter un sentiment d’impuissance ayant des répercussions sur la santé mentale des proches des personnes DT2 avec MRC.
« J’étais très malheureuse pour lui. Je ne savais pas quoi faire pour qu’il aille mieux. C’est là… Ou je posais des questions et on essayait de voir ensemble ce qu’il était possible de faire. Mais je me rendais compte qu’il n’y avait pas de solution en fait. » – Mme M
Lorsque la fonction rénale se dégrade, c’est ensuite la peur de la dialyse qui semble les impacter le plus fortement, bien souvent partagée entre les personnes DT2 atteintes de MRC et leurs proches. Cette peur est susceptible d’altérer la QdV psychologique. Une bonne préparation, c’est-à-dire un bon accompagnement, peut grandement limiter l’impact psychologique du passage à la dialyse.
« Je m’étais entretenue avec un ami qui lui a été dialysé, bien avant mon mari, c’est pas la même maladie, mais peu importe. Mais quand il nous en parlait… Il avait retrouvé la forme, il refaisait du sport… Avec ses enfants c’était super aussi. Je me suis dit « c’est ça la solution, c’est ça. » Ça a été quelques années avant de l’envisager pour mon mari. Et quand « le couperet est tombé » pour moi c’était un soulagement de savoir qu’il rentrait en dialyse (…) Et c’est vrai que ça a fait son chemin chez mon conjoint. Il en parlait plus ouvertement, plus positivement. » – Mme M
En conclusion, l’impact de la MRC sur les conjoints semble être induit par l’absence de traitement spécifique d’une part et par le manque d’accompagnement d’autre part.
Conclusion
Le diabète est la première cause de maladie rénale chronique (MRC) terminale dans le monde et la deuxième en France. Alors que la MRC est susceptible d’avoir d’importantes répercussions sur la QdV des personnes qui en sont atteintes, ces impacts sont mal connus chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2.
Au regard des témoignages des personnes DT2 avec une MRC, il semble ainsi que les principales conséquences de la MRC sur la QdV ne résultent pas des symptômes qu’elle provoque, mais des contraintes associées à sa prise en charge médicale (examens biologiques, rendez-vous médicaux et, le cas échéant, dialyse) et alimentaire. La peur de la dégradation de la fonction rénale et ultimement de la dialyse paraît accroître la détresse psychologique des paDT2 avec MRC ainsi que de leurs proches, la MRC étant une complication silencieuse. Les contraintes associées à la prise en charge médicamenteuse et non médicamenteuse de la MRC semblent elles aussi impacter négativement la QdV.
Auteurs : Nicolas Naïditch, Coline Hehn.
Remerciements : Toutes les personnes qui ont accepté de témoigner et en particulier M. A qui se reconnaitra 😊.
Liens d’intérêt : Cette étude a été financée par Bayer.
Bibliographie :
INSERM. (2019). Diabète de type 2 ⋅ Inserm, La science pour la santé. Inserm. https://www.inserm.fr/dossier/diabete-type-2/
Jing, X., Chen, J., Dong, Y., Han, D., Zhao, H., Wang, X., Gao, F., Li, C., Cui, Z., Liu, Y., & Ma, J. (2018). Related factors of quality of life of type 2 diabetes patients : A systematic review and meta-analysis. Health and Quality of Life Outcomes, 16. https://doi.org/10.1186/s12955-018-1021-9
Neindre, C. L., Bricard, D., Sermet, C., Bayer, F., Chouchoud, C., & Lasalle, M. (2018). Atlas de l’insuffisance rénale chronique terminale en France (p. 148). IRDES.
Netgen. (2004). Insuffisance rénale terminale et patients âgés : L’âge est-il une limite à un traitement de substitution rénale ? Revue Médicale Suisse. https://www.revmed.ch/RMS/2004/RMS-2477/23729
Réseau, Epidémiologie, Information, Néphrologie. (2019). Registre français des traitements de suppléance de l’insuffisance rénale chronique (p. 284). Agence de la biomédecine. https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/rapport_rein_2019_2021-07-15.pdf