Le traitement par insuline est vital pour les personnes atteintes diabète de type 1, et peut apporter de nombreux bénéfices dans le diabète de type 2. En partenariat avec le laboratoire Novo Nordisk, nous avons mené une étude en deux phases (qualitatives puis quantitatives) sur les attentes que vous pourriez avoir vis-à-vis d’une insuline lente à injection hebdomadaire (une fois par semaine) au lieu de quotidienne. Dans cet article, nous vous présentons les résultats de la première phase, qui a été réalisée à partir d’entretiens semi-directifs avec 12 personnes atteintes de diabète et 3 diabétologues. Les résultats de cette enquête montrent l’intérêt porté à cette innovation, mais viennent également questionner le rituel d’injection quotidienne d’insuline lente, une habitude qui est fortement ancrée dans le quotidien des personnes qui en bénéficient depuis de nombreuses années.

Méthodologie

Les 12 entretiens avec des personnes atteintes de diabète ont été réalisés en décembre 2023 et janvier 2024. Nous avons discuté avec des personnes ayant différents profils en termes de sexes (5 hommes et 8 femmes), d’âges (moyenne d’âge de 56 ans), et de type de diabète (6 DT2 et 6 DT1). Toutes les personnes avaient une longue expérience avec la maladie, avec une moyenne de 27 ans de vie avec le diabète. Les participants étaient plutôt de catégories socio-professionnelles supérieures, avec une surreprésentation de bac +5 par rapport à la population globale des personnes diabétiques, ce qui est un biais méthodologique fréquent des études du Diabète LAB. De plus, nous avons également interviewé trois diabétologues afin de recueillir leur opinion sur le sujet.

Le rapport à l’insuline

Le fait de s’interroger sur une prise hebdomadaire d’insuline impliquait de s’intéresser à ce traitement de façon plus générale, et à la façon dont les personnes atteintes de diabète l’appréhendent. Le rapport à l’insuline n’est pas le même selon le profil de chaque personne, et plusieurs critères peuvent jouer dont notamment le type de diabète. Pour les personnes atteintes de diabète de type 1 (DT1), une relation forte est susceptible de s’instaurer, étant donné la nécessité vitale d’avoir ce traitement sans lequel la vie ne serait pas possible. Ainsi, en interrogeant ces personnes sur ce qu’elles pensent de l’insuline, les réponses étaient souvent élogieuses, et la question semblait presque inappropriée :

« S’il y en avait pas, je serais plus là donc. (rire) Je loue les mérites de celui qui l’a découvert (…) L’insuline c’est ma vie » Jeanne, 41 ans, DT1

« Ah formidable, qu’est ce qu’on peut dire d’autres ? Non, je vois que ça. Qu’est ce qu’on peut dire d’autre ? Mais je sais pas. Heureusement qu’elle est là. » Naïma, 55 ans, DT1

Pour les personnes atteintes de diabète de type 2 (DT2), la relation n’est pas forcément la même. Ils en bénéficient généralement à un âge bien plus avancé, et ont dans une certaine mesure davantage le choix de prendre ou non ce traitement. L’insuline nourrit malheureusement des représentations parfois négatives, pouvant être brandit comme une forme de punition par certains médecins en cas de mauvaise évolution de la maladie. Il peut en résulter des discours négatifs autour de ce traitement, pouvant être accentués par un manque d’accompagnement, comme l’a exprimé Alain :

« C’est un peu la magie noire, l’insuline. Parce que moi j’ai longtemps râlé au niveau des ateliers diabète parce qu’on nous file des médocs, et puis on sait pas pourquoi on les prend, on sait pas trop, même en regardant les effets secondaires et machin, alors on sait pas trop comment les prendre. (…) C’est comme une piqure de guêpe, c’est une agression, comme un venin. » Alain, 58 ans, DT2

Alain a affirmé au cours de notre entretien qu’il retirait des bénéfices de son traitement d’insuline, mais malgré cela, il le perçoit toujours de façon négative, notamment en raison de son appréhension des piqures. Il exprimait également le regret de ne pas savoir pourquoi il devait prendre ce traitement, sans comprendre son fonctionnement réel, et le manque d’accompagnement qu’il a vécu n’a sans doute pas amélioré sa perception. Mais au-delà de ces réticences exprimées par certaines personnes rencontrées, la plupart des participants à l’étude exprimait une satisfaction pour l’insuline, même si l’enjeu reste toujours de trouver la bonne dose qui va s’adapter à la vie quotidienne.

L’insuline hebdomadaire, de fortes attentes et quelques interrogations

En questionnant les participants à cette enquête sur ce qu’ils pensaient d’une insuline lente à prise hebdomadaire, les avis étaient globalement positifs et enthousiastes, comme l’a exprimé par exemple Sandrine :

« Ah bah ça serait bien, ça me fait une piqûre de moins par jour. Ah bah tout ce qu’on peut éviter. Voilà, c’est si on peut éviter et réduire le nombre d’injections, ça serait quand même l’idéal quoi. » Sandrine, 46 ans, DT2

Même si cela ne les concernait pas directement, ce nouveau médicament était perçu comme une évolution positive, qui témoigne d’une forme d’innovation et de progrès. Mais ce changement de fréquence d’administration n’était pas susceptible de modifier la façon de concevoir l’insuline, et ne représente pas en ce sens un changement majeur.

Les attentes se situent à différents niveaux, et concernent notamment le fait de réduire le nombre d’injection en passant de sept à une par semaine, ainsi qu’une réduction de la charge mentale associée. Les attentes du traitement se situent également au niveau de l’équilibre glycémique, qui doit être au moins aussi bon qu’avec les injections quotidiennes, sous peine d’être refusé. Certaines personnes sont tout particulièrement intéressées en raison de leurs styles de vie ou de rythme de travail, comme celles qui effectuent de nombreux déplacements professionnels durant la semaine et qui n’auraient plus de matériel à transporter. La réduction des déchets et l’impact environnemental étaient également des arguments importants, mais pas déterminants car l’essentiel reste avant tout l’impact sur la maladie et le vécu au quotidien.

Pour certains participants, ce traitement était mal perçu, notamment en raison des besoins vis-à-vis de l’insuline qui peuvent être différents selon chaque personne. C’est le cas de Paul qui souhaitait une action « hyper rapide » pour diminuer ses hyperglycémies qu’il a du mal à gérer, et qui s’exprimait ainsi sur l’insuline hebdomadaire :

« Aucun intérêt (…) Parce que quand on est sur de l’insuline lente, injection hebdomadaire, je ne sais pas vous dire si le dimanche, quand je vais faire mon injection d’insuline, si le mardi, le mercredi, le jeudi ou le vendredi, je vais aller faire une marche de 10 ou 15 km avec mes chiens et si je repasse sur de la lente, je vais me retrouver en hypo. (…) Pour moi c’est une régression (…) » Paul, 61 ans, DT1

Paul exprimait un questionnement plus général qui a été soulevé dans plusieurs entretiens, à savoir la compatibilité entre ce traitement et des modes de vies qui amènent à des variations glycémiques sur la semaine. Ce sujet a par exemple été évoqué par Gabriel, qui parlait de son mode de vie sédentaire, de son envie de renouer prochainement avec des pratiques d’activités physiques et sportives régulières qu’il pensait incompatible avec cette nouvelle insuline :

« Pour quelqu’un qui a mon mode de vie actuel, qui n’est pas un bon mode de vie puisque je suis extrêmement sédentaire, je pense que c’est une insuline qui sera top (…) j’ai la crainte, notamment pour cette flexibilité, par rapport à mon vécu, d’avoir le risque de se provoquer des hypoglycémies dès lors qu’on accélère un peu dans sa vie, ou dès lors qu’on est un petit peu surmené du point de vue du stress. » – Gabriel, 36 ans, DT1

En se basant sur leur longue expérience de vie avec la maladie, plusieurs participants à cette enquête ont évoqué le fait que la glycémie évolue différemment au cours de la journée selon chaque personne, tout comme les réactions à l’insuline qui peuvent être très différentes. De nombreux critères rentrent en compte, comme les évolutions selon les différents temps de la semaine avec par exemple des repas riches en famille le weekend, un sport pratiqué un jour en semaine, ou encore l’impact des émotions, etc.

La crainte soulevée par plusieurs participants à l’étude concernait ainsi la potentielle nécessité avec ce traitement hebdomadaire de ne pas avoir trop de variations glycémiques sur la semaine, qui risqueraient d’entrainer des hyperglycémies ou des hypoglycémies sans possibilité d’adapter les doses d’insuline jour par jour. En d’autres termes, l’inquiétude concernait le fait de devoir adapter sa vie à son traitement, au lieu d’avoir un traitement qui s’adapte à sa vie. Un important travail de pédagogie et d’accompagnement sur le sujet des adaptations aux styles de vie semble donc nécessaire pour toute éventuelle prescription de ce nouveau traitement.

Des doutes qui viennent questionner le rituel d’injection

En réfléchissant aux implications d’une prise d’insuline lente hebdomadaire, certains participants ont changé d’avis au cours de l’entretien pour réviser leur jugement. En évoquant la place de l’injection dans leur quotidien, elles ont réalisé à quel point cette routine était inscrite dans leur vie, au point d’en devenir un automatisme. C’est notamment ce qu’a exprimé Naïma :

« Je pense que ça va pas favoriser moi, ça habituera moins à le faire (…) si on le fait tous les jours, bah on s’habitue et après ça devient banal donc on accepte mieux de passer complètement à l’insuline pour moi. (…) Ouais, dans un rituel banal et puis après on oublie quoi. » – Naïma, 55 ans, DT1

Le changement de rythme dans la prise d’insuline vient ainsi questionner la place du rituel qui se construit autour de l’injection. Pour certaines personnes, la régularité permet d’instaurer et de fixer un temps dans la journée, qui devient un repère temporel rassurant. Cette ritualisation permet de s’approprier ce traitement, avec un ensemble de gestes et de mots qui y sont associés, et parfois des pratiques réalisées en famille. Le fait d’imaginer rompre avec cette pratique peut ainsi s’avérer perturbant, en déstabilisant tout un ensemble qui s’est construit autour de ce rituel. Ce type de considération s’applique tout particulièrement aux personnes qui ont de nombreuses années de vie avec la maladie et avec l’insuline, qui ont des pratiques profondément ancrées dans leur quotidien. Ainsi, ce nouveau traitement pourrait peut-être davantage convenir aux personnes qui bénéficient depuis moins longtemps de l’insuline, ou celles qui pourraient effectuer leur transition vers ce traitement.

Une transition vers l’insuline facilitée ?

Finalement, nous pouvons nous interroger sur le profil de personne qui pourrait être intéressé par ce nouveau traitement. Plusieurs arguments vont dans le sens d’une transition facilitée vers l’insuline lente pour les personnes n’étant pas encore sous insulinothérapie, ou d’un bénéfice important pour celles qui sont sous ce traitement depuis peu. Le fait de rajouter une étape supplémentaire avant le passage à l’injection quotidienne voire aux multi-injections permet d’une certaine façon de dédramatiser ce passage, comme l’a expliqué Gérard :

« Pour moi, l’insuline c’était l’étape ultime. Là c’est, on peut toujours se dire que l’étape suivante, c’est de la faire une fois par semaine. Donc il y a encore une marge de manœuvre derrière. » – Gérard, 63 ans, DT2

Le fait de ne plus percevoir le passage à l’insuline comme « l’étape ultime » permettrait peut-être de moins associer ce traitement au fait d’être en mauvais état de santé, et de le refuser pour ce qui semble être une mauvaise raison. Pour certains diabétologues interrogés, ce nouveau traitement peut être présenté en consultation comme une innovation, et servir d’argument pour mieux accepter l’insuline. Un diabétologue interrogé a ainsi par exemple déjà imaginé le type de discours qu’il pourrait présenter à ses patients pour cette transition :

« Je pourrai dire à mes patients, « il va falloir passer à l’insuline, mais par contre j’ai un produit intéressant à vous proposer, ça sera qu’une fois par semaine » » – Diabétologue n°1 exerçant à l’hôpital

Le passage à l’insuline pourrait ainsi être facilité par ce traitement hebdomadaire pour les personnes qui sont réticentes. L’existence d’autres traitements injectables de manière hebdomadaire comme les A-GLP1 (Ozempic, Trulicity, etc.) permet également de faciliter cette transition, comme l’a expliqué un autre diabétologue :

« – Est ce que vous pensez que ça pourrait faciliter du coup le passage à l’insuline pour certaines personnes ?

                – Ouais, ouais surement. (…) Surtout s’ils sont accompagnés un peu par une infirmière au début, du coup c’est aussi ça hein, d’avoir des patients qui sont pas autonomes. Bon on fait passer une infirmière éventuellement qu’une fois par semaine. (…) c’est plus pareil des traitements injectables depuis qu’il y a des traitements injectables non insuliniques, on voit bien que c’est pas finalement tant l’injection elle-même qui fait problème » – Diabétologue n°2 exerçant à l’hôpital

Ce diabétologue évoque ainsi le cas des personnes qui ont besoin d’un accompagnement par une infirmière, que ce soit dans les premiers temps ou pour des durées plus longues, et dont les passages pourraient être drastiquement réduits. Mais là encore, cela peut ne pas convenir à tout le monde, car le passage régulier d’une infirmière permet pour des personnes isolées et dépendantes de rassurer, d’effectuer d’autres soins, de rompre avec une forme de solitude, etc. Encore une fois, tout dépend du profil de la personne concernée.

Conclusion

L’insuline hebdomadaire représente une nouvelle étape dans l’évolution des traitements disponibles pour le diabète. Elle suscite de nombreux espoirs et attentes de voir le fardeau de la maladie diminuer, en réduisant le nombre d’injection, le matériel à transporter, la charge mentale et les déchets. Elle fait également naître des appréhensions, voire des frustrations pour des personnes à qui elle ne correspond pas et qui ont d’autres attentes. Ce nouveau traitement représente indéniablement un progrès, mais toute la question est de savoir à qui il pourrait apporter un réel bénéfice. Le style de vie, le stade de la maladie et l’appréhension de l’insuline semblent être les principaux critères qui vont influencer sa perception, son appréhension et son acceptation.

Ces informations ont été recueillies auprès d’un nombre limité de personnes et avec des biais méthodologiques à prendre en compte. L’objectif de cet article est de vous informer sur un nouveau traitement qui n’est pas encore disponible, et de faire émerger des questionnements que vous pourriez avoir. Dans tous les cas, l’idéal est de vous faire votre propre opinion, en fonction de vos besoins et de ce que vous souhaitez pour vous.

 

Auteur : Arnaud Bubeck